MONTRÉAL — Alors que le gouvernement du Québec disait au printemps vouloir miser sur les entreprises québécoises pour éviter une pénurie d’équipement de protection médicale comme des blouses et des masques — en forte demande à cause de la COVID-19 — il n’a pas renouvelé les contrats d’approvisionnement de la plupart d’entre elles, selon TechniTextile Québec.
Le directeur général de cette grappe industrielle québécoise qui est une initiative du Ministère de l’Économie et de l’Innovation, Dany Charest, se gratte la tête. Il aimerait plus de clarté.
Le discours politique est de favoriser les entreprises locales, mais sur le terrain, il ne peut que constater que les contrats ne sont pas renouvelés.
Après cet appel du gouvernement, plusieurs entreprises québécoises ont sauté dans l’aventure, modifiant rapidement leurs usines pour fabriquer ces nouveaux produits — blouses lavables, masques de procédure et couvre-visage sans grade médical. Un groupe d’entre elles ont investi environ 10 millions $ dans le but d’occuper ce créneau, a soutenu M. Charest en entrevue avec La Presse canadienne.
«On a eu un appel à contribuer», et les entreprises de matériaux textiles techniques ont répondu.
Questionné à savoir pourquoi les contrats n’étaient pas renouvelés, le ministère de la Santé a répondu qu’il a suffisamment de matériel en entrepôt pour sa réserve, comme des blouses lavables, et insiste qu’il doit diversifier ses sources. Il dit avoir priorisé les entreprises québécoises, mais d’avoir aussi passé des commandes à l’étranger «pour des raisons stratégiques évidentes», dit-il. Bref, il précise qu’il ne veut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
«Notre inventaire est en forte croissance et permet de répondre aux besoins pour les mois à venir. De plus, d’importantes commandes d’équipement de protection individuelle (ÉPI) sont en cours d’expédition. Notre objectif est d’avoir une réserve suffisante, représentant six mois d’inventaire, pour la deuxième vague d’éclosion de COVID-19 (en sus des réserves situées dans chaque établissement)», a expliqué le ministère dans un courriel.
Il ne veut toutefois pas révéler quel est le niveau actuel de sa réserve.
M. Charest se demande d’ailleurs pourquoi le gouvernement achète à l’étranger si ses entrepôts sont pleins.
Contactés à ce sujet mercredi par La Presse Canadienne, le ministre de la Santé Christian Dubé et le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon n’ont pas souhaité commenter sur leur possible changement de stratégie d’achat. Ils ont renvoyé les questions au ministère de la Santé — qui avait déjà été joint pour la rédaction de l’article.
L’on se rappelle qu’au printemps, les sources d’approvisionnement à l’international se sont taries quand la demande pour ce matériel de protection a explosé.
Débordées, les entreprises ne pouvaient livrer assez rapidement et les stocks québécois fondaient à vue d’œil. Des problèmes inhabituels se sont présentés: une cargaison chinoise destinée au Québec a même été détournée en avril, et n’est jamais arrivée. La Maison-Blanche a interdit à une entreprise américaine de livrer des masques N95 au Canada.
Le premier ministre François Legault avait félicité les entrepreneurs québécois qui avaient modifié leur production pour fournir le réseau de la santé. Il avait insisté sur la nécessité de produire l’équipement nécessaire ici même.
Mais après la livraison au cours des derniers mois des masques et des blouses commandées, certains contrats n’ont pas été renouvelés en août et d’autres ne le seront pas cet automne, indique M. Charest dont le travail est entre autres de développer des projets et des débouchés commerciaux pour les entreprises de textile.
Le matériel étranger est-il privilégié, car il est moins cher? La question des coûts n’a pas été invoquée par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), dans ses courriels de réponse.
Selon le ministère, des contrats d’une plus longue durée sont toujours en vigueur avec des entreprises québécoises. Lesquelles? «Pour le moment, le MSSS ne dévoile pas le nom des compagnies avec qui elle fait affaire, ni les détails».
L’une d’entre elles est toutefois connue: il s’agit de Medicom, une entreprise ayant reçu du gouvernement québécois un prêt de 4 millions $ pour accélérer l’implantation, à Montréal, d’une usine qui produira des masques N95 et de masques chirurgicaux de niveau 3.
M. Charest soulève une autre inquiétude: s’il y a pénurie et que les entreprises étrangères ne livrent pas, laissant à découvert les hôpitaux québécois, les chaînes de productions d’ici n’existeront plus.
Sans contrats, les entreprises locales auront reconverti leurs usines pour produire d’autres biens. Fabriquer à nouveau des blouses médicales prendra un certain temps. Il faut garder les chaînes de production actives, soutient-il.
«On ne veut pas être une chaîne d’approvisionnement de secours».
Le ministère de la Santé a indiqué dans un courriel qu’il y aura «probablement» d’autres appels d’offres pour lesquelles les entreprises québécoises pourront soumissionner.
Dany Charest n’en a pas entendu parler.
Le directeur général de TechniTextile ne prétend pas que le gouvernement a fait de fausses promesses aux entreprises en leur laissant entendre qu’il y aurait des contrats à long terme.
Il ne s’attend pas non plus à ce que les entreprises du Québec aient 100 % des commandes et comprend que les blouses lavables vont coexister avec des blouses jetables dans le réseau de la santé.
Mais les entreprises de textiles québécoises veulent continuer à approvisionner le Québec, dit-il. Il y voit une belle niche pour elles, alors qu’elles ont récemment lancé des projets de recherche et de développement, en plus de leurs investissements dans leurs usines. «On pourrait même exporter». Mais il ne faut pas que les chaînes de production soient démantelées.
Et puis, les entreprises sont capables d’être plus productives : pour cela, il faut toutefois investir dans les bons équipements. Avant de faire ces achats coûteux, dit-il, les entreprises veulent savoir dans quoi elles s’embarquent.