Agressions sexuelles: Québec légifére en vue d’abolir le délai de prescription

QUÉBEC — Les victimes d’agressions sexuelles pourront bientôt réclamer que justice leur soit rendue, même si les actes reprochés remontent à plus de 30 ans.

La ministre de la Justice, Sonia LeBel, a déposé jeudi le projet de loi 55, une pièce législative fort attendue qui aura pour effet d’abolir le délai de prescription imposé pour intenter une poursuite civile contre un présumé agresseur.

Le délai de prescription était de trois ans jusqu’en 2013, au moment où le gouvernement péquiste a choisi de le faire passer à 30 ans.

Avec l’Île-du-Prince-Édouard, le Québec est la seule province canadienne à conserver un délai de prescription pour ce type de crime.

L’abolition du délai de prescription était réclamée depuis des années, notamment par des victimes âgées, incluant celles qui avaient dû subir les agressions répétées de prêtres pédophiles durant leur enfance.

Le projet faisait partie des engagements électoraux de la CAQ en 2018.

Le Code civil devra donc être modifié pour faire écho aux attentes de ces nombreuses victimes, jusqu’ici laissées pour compte.

L’article 4 du projet de loi 55 viendra donc modifier l’article 2926.1 du Code civil et stipulera que toute personne pourra entreprendre des recours judiciaires «si le préjudice résulte d’une agression à caractère sexuel, de la violence subie pendant l’enfance, ou de la violence d’un conjoint ou d’un ancien conjoint, et ce, sans égard à tout délai de prescription applicable avant l’entrée en vigueur de la présente loi», donc sans aucune limite de temps.

Cependant, si l’agresseur est décédé, la victime disposera de trois ans après sa mort pour intenter un recours destiné à la succession du défunt.

La loi aura même une portée rétroactive. Ainsi, si une poursuite passée a été rejetée par le tribunal uniquement en raison du délai de prescription échu, la victime aura trois ans pour revenir à la charge.

Pour des sévices subis durant l’enfance, quantité d’études et des reportages ont démontré qu’il peut être difficile pour la victime de se remémorer les événements traumatisants vécus il y a longtemps. Des décennies peuvent aussi être nécessaires avant de trouver la force de confronter en justice un agresseur.

Dans bien des cas, le seul fait de «demander réparation peut être extrêmement difficile», a convenu jeudi la ministre LeBel.

Elle a qualifié le dépôt de sa pièce législative, qui fait consensus parmi les élus, de «geste extrêmement important» pour la justice et la société.

Cette dernière s’était engagée à déposer un projet de loi avant l’ajournement des travaux de la présente session parlementaire, le 12 juin. Elle aura donc tenu parole, mais pratiquement à la dernière minute.

Les partis d’opposition ont aussitôt salué l’initiative du gouvernement, jeudi matin, disant souhaiter adopter sans tarder le projet de loi 55.

Mais même si ce projet de loi ne compte que six articles, il reste à savoir si les élus auront le temps requis pour mener l’initiative à terme, alors qu’il ne reste que cinq jours avant la fin de la session parlementaire. D’autant plus qu’on souhaite aussi procéder à des consultations.

Questionnée en conférence de presse à savoir s’il était réaliste de penser que la loi pouvait être adoptée à toute vapeur d’ici le 12 juin, la ministre a dit que l’idée de procéder rapidement était souhaitable. «Réaliste? On verra», a-t-elle ajouté.

La députée péquiste Véronique Hivon, qui se bat depuis des années pour faire progresser ce dossier, s’est montrée disposée à «procéder à une adoption rapide de ce projet de loi-là, pour qu’enfin justice soit rendue pour ces victimes d’agressions sexuelles».