OTTAWA – Les sénateurs se sont finalement pliés à la volonté de la Chambre des communes élue, vendredi, en adoptant un projet de loi restrictif sur l’aide médicale à mourir qu’ils ont abondamment critiqué.
Le Sénat a donné des sueurs froides au gouvernement jusqu’à la dernière minute, mais il a finalement approuvé la mesure législative par 44 voix contre 28, en milieu d’après-midi. Quelques heures plus tard, C-14 recevait la sanction royale et la loi entrait officiellement en vigueur, a confirmé le bureau du premier ministre.
À leur sortie de la chambre haute, certains sénateurs ont admis avoir des sentiments partagés face à l’adoption de ce projet de loi, qui restreint l’accès à l’aide à mourir aux personnes dont la «mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible».
«D’un côté, c’est une bonne chose que les règles soient claires pour les gens en fin de vie. Mais d’un autre côté, un groupe de gens n’auront pas ces droits qui avaient été reconnus par la Cour suprême», a souligné le leader de l’opposition conservatrice, Claude Carignan.
Aux yeux du sénateur indépendant Pierre-Hugues Boisvenu, qui a enregistré son vote en défaveur du projet de loi C-14, le Parlement vient d’accorder aux Canadiens le «droit à souffrir» plutôt que de leur reconnaître le droit à mourir.
Son collègue conservateur Jean-Guy Dagenais a lui aussi voté contre le projet de loi, se félicitant au passage d’être demeuré fidèle à ses convictions.
«Moi, j’ai fait un vote de compassion. Ce n’était pas un vote politique, c’était un vote de compassion. Il y en a qui ont fait des votes politiques. Alors, ce n’est pas ma tasse de thé», a-t-il exposé en sortant du Sénat.
Le nouveau sénateur indépendant André Pratte a voté pour C-14, même s’il est d’avis que le projet de loi pourrait ne pas passer le test des tribunaux.
Après avoir initialement signalé que son appui à la mesure législative était conditionnel au retrait du critère contesté, M. Pratte s’est donc finalement résigné à se ranger derrière le gouvernement, disant le faire «à contrecoeur» en pensant aux patients laissés en plan.
«J’avais un peu l’impression de les abandonner. Mais en même temps, la question qui a vraiment été déterminante pour moi, c’est de penser qu’en définitive, c’est la Chambre des communes, c’est le gouvernement, qui est responsable des décisions», a-t-il offert.
Quelques sénateurs ont voté pour C-14 après avoir plaidé qu’il valait mieux avoir une loi perfectible qu’aucune loi, tandis que d’autres ont souligné que le gouvernement avait visiblement fait son lit sur cette question, et qu’il était donc futile de s’engager dans une interminable partie de ping-pong législatif.
Deux factions composaient le groupe de sénateurs qui a dit non au projet de loi: ceux qui s’opposaient à l’aide médicale à mourir en raison de leurs valeurs personnelles (surtout les conservateurs), et ceux qui réclamaient un élargissement de l’accès (principalement les libéraux indépendants).
Les sénateurs avaient essuyé la veille une rebuffade en provenance de la Chambre des communes, qui leur avait refusé l’amendement le plus substantiel qu’ils avaient adopté: le retrait du critère de mort naturelle raisonnablement prévisible.
Le représentant du gouvernement libéral à la chambre haute, Peter Harder, juge que les élus ont tout de même accepté des amendements significatifs.
Il en résulte un projet de loi équilibré témoignant de la qualité de la contribution que peut apporter le Sénat libéré de ses chaînes partisanes, a-t-il fait valoir.
«Je pense que c’est une victoire pour le Canada d’avoir un projet de loi sur un sujet très difficile, de passer cette chambre et d’avoir une conversation avec l’autre chambre. Et nous avons résolu nos différences. Et ça, c’est un modèle pour le nouveau Sénat», s’est réjoui M. Harder.
Les ministres de la Justice, Jody Wilson-Raybould, et de la Santé, Jane Philpott, ont confirmé «avec plaisir» l’adoption de la mesure législative dans une déclaration écrite commune transmise à l’issue du vote au Sénat.
«Le gouvernement exprime sa reconnaissance pour les efforts exceptionnels qui ont été déployés à la Chambre des communes et au Sénat pour que ce projet de loi soit adopté, efforts qui garantissent dorénavant un accès sûr et cohérent à l’aide médicale à mourir dans tout le Canada», ont-elles affirmé.
La réaction a été diamétralement opposée du côté de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique (ALCCB), qui a mené — et remporté — la bataille dans la cause qui a forcé le gouvernement fédéral à légiférer.
«Il est irresponsable de la part du Parlement d’adopter une loi que les constitutionnalistes les plus réputés au Canada jugent inconstitutionnelle», s’est indignée l’organisation par communiqué.
«Il est irresponsable de forcer des individus qui souffrent à porter le fardeau de monter une contestation judiciaire pour faire respecter les droits qui leur avaient déjà été reconnus en Cour suprême», a ajouté l’ALCCB.
Après l’adoption du projet de loi, Claude Carignan a exhorté le gouvernement à faire renvoyer son projet de loi à la Cour suprême du Canada afin que les juges se prononcent sur sa constitutionnalité.
La ministre Wilson-Raybould avait déjà écarté cette option. Elle n’a pas changé d’idée, a signalé vendredi son attachée de presse, Joanne Ghiz.
L’aide médicale à mourir était légale au pays depuis un peu moins de deux semaines, puisque le gouvernement avait échoué à respecter la date limite du 6 juin imposée par la Cour suprême. L’adoption du projet de loi vient donc clarifier les règles du jeu à l’échelle pancanadienne.
L’approbation de C-14 vient par ailleurs de faire sonner la cloche de la récréation pour les députés: le dossier étant enfin clos, la Chambre des communes a ajourné les travaux pour l’été, vendredi après-midi.