WASHINGTON — La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a légèrement tourné le dos au président Donald Trump pour chercher plutôt l’appui de son homologue américain, vendredi, alors que les efforts du Canada pour réintégrer l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) avant la date butoir de vendredi ont échoué.
En s’engageant à reprendre les pourparlers la semaine prochaine, Mme Freeland a parlé de progrès, d’optimisme et de sa détermination à conclure un accord qui soit bon pour les Canadiens, une remarquable démonstration de retenue en cette journée qui avait commencé par une autre salve de commentaires du président Trump qui a eu l’effet d’un pavé jeté sur la table de négociations.
Toute entente avec le Canada serait «entièrement à nos conditions», a déclaré Donald Trump en marge d’une entrevue avec Bloomberg News citée par le «Toronto Star».
«Si je dis non, la réponse est non. Si je dis non, alors vous allez le dire, et cela va être tellement insultant qu’ils ne pourront pas conclure d’entente», a-t-il dit avant d’ajouter «Je ne peux pas tuer ces gens.»
Chrystia Freeland a soigneusement évité d’évoquer ces remarques vendredi, allant même jusqu’à s’abstenir de mentionner le nom du président américain durant ses multiples apparitions médiatiques, y compris sa conférence de presse très attendue à l’ambassade du Canada.
En fait, chaque fois que le nom «Trump» a fait surface, Mme Freeland a fait l’éloge de son homologue américain, le représentant au Commerce Robert Lighthizer, laissant entendre que M. Lighthizer et elle-même avaient joint leurs forces pour surmonter l’impasse, et ce, peu importe ce qu’en pensait la Maison-Blanche.
«Mon interlocuteur dans ces négociations est l’ambassadeur Lighthizer et, comme je l’ai dit, il a apporté à la table de la bonne foi et de la bonne volonté», a-t-elle répondu aux questions sur les commentaires de Donald Trump.
«Je travaille avec l’ambassadeur Lighthizer et son équipe depuis plus d’un an. Nous avons eu des périodes de travail très intenses et l’ambassadeur Lighthizer et son équipe sont des professionnels très expérimentés. Ils apportent certainement de la bonne foi et de la bonne volonté à la table de négociations.»
Pressée une fois de plus de parler de Donald Trump, la ministre a brusquement demandé de passer à la prochaine question.
Dans un message publié sur Twitter en après-midi, le président américain a confirmé l’authenticité des remarques faites à Bloomberg News.
«Wow, j’ai fait des commentaires à titre « officieux » à Bloomberg concernant le Canada, et cette entente a été carrément bafouée», a écrit M. Trump, ignorant le fait que ses propos avaient été rapportés par le «Toronto Star» grâce à une source anonyme qui n’était pas du tout liée par cette restriction.
«Eh bien, juste un reportage malhonnête de plus. Je suis habitué. Au moins, le Canada connaît ma position!»
Juste avant la conférence de presse de Chrystia Freeland, le Bureau du représentant américain au Commerce avait confirmé que le président avait informé le Congrès de son intention de signer un accord commercial d’ici 90 jours avec le Mexique et le Canada, si Ottawa se décidait à se joindre à eux.
«Nous avons négocié avec le Canada tout au long de ce processus d’un an. Cette semaine, ces réunions se sont poursuivies à tous les niveaux. Les discussions ont été constructives et nous avons progressé. Nos négociateurs continuent de travailler sur un accord», a déclaré le représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer, dans un communiqué.
Tout au long de la journée vendredi, il est devenu de plus en plus clair que le Canada et les États-Unis ne pourraient pas parvenir à un accord. Le règlement des différends, l’exemption culturelle du Canada et l’accès au marché canadien des produits laitiers continuent d’être des obstacles à une entente.
Mais, à la fin de la journée, les deux parties ont exprimé leur optimisme pour la semaine prochaine.
«Nous savons qu’un accord gagnant-gagnant-gagnant est à notre portée», a affirmé Mme Freeland.
Selon le Toronto Star, Donald Trump a dit qu’il rappelait fréquemment au Canada que, si nécessaire, il imposerait des tarifs douaniers douloureux sur les importations de voitures. Selon les experts, une telle mesure ferait beaucoup de tort aux industries respectives des deux pays, qui sont très liées.
«Le Canada travaille très fort. Chaque fois qu’on rencontre un problème sur un point, je me contente de montrer une photo de Chevrolet Impala», s’est vanté le président. Ce modèle de voiture est construit à l’usine General Motors d’Oshawa, en Ontario.
Dans le cadre d’un événement tenu vendredi à Oshawa, le premier ministre Justin Trudeau a contourné une question sur les commentaires de M. Trump, affirmant que «depuis un an et demi, beaucoup de choses ont été dites à un moment ou à un autre».
Ce nouveau cycle de négociations tenu cette semaine entre les États-Unis et le Canada a initialement donné lieu à des signes encourageants de la part des deux camps, qui croyaient alors pouvoir conclure une entente avant la fin de la semaine. Des différends persistants concernant l’industrie laitière et le processus de règlement de conflit ont cependant fait achopper les pourparlers.
Donald Trump a critiqué à maintes reprises l’industrie laitière canadienne et a menacé d’imposer des tarifs douaniers sur la production automobile du Canada pour faire pression sur Ottawa et obtenir des concessions. Toutefois, l’industrie laitière canadienne, soutenue par tous les partis politiques du Québec, a clairement dit qu’elle ne tolérerait pas un plus grand accès des États-Unis au marché.
Le chapitre 19 de l’ALÉNA, qui a pour but de résoudre les conflits entre les trois pays et l’industrie sur l’application des règles de l’accord, constitue un autre obstacle. Les États-Unis veulent que ce chapitre disparaisse, mais le Canada y tient.