Candice Bergen nommée cheffe par intérim du Parti conservateur du Canada

OTTAWA — La députée du Manitoba Candice Bergen a été choisie par ses collègues du caucus pour devenir cheffe par intérim du Parti conservateur du Canada. Elle succède ainsi à Erin O’Toole qui s’est fait montrer la porte, mercredi.

Les députés conservateurs ont élu Mme Bergen à la suite d’un vote secret tenu mercredi soir, soit quelques heures après que ces mêmes élus eurent retiré leur confiance à M. O’Toole.

Candice Bergen, qui était déjà cheffe adjointe sous Erin O’Toole, va diriger le parti jusqu’à ce qu’un nouveau chef soit élu par les membres à la suite d’une course au leadership. En tant que députée, elle représente la circonscription de Portage — Lisgar depuis 2008. Elle a également occupé le rôle de leader de l’opposition officielle de 2016 à 2020.

D’après ce qu’a affirmé le député conservateur Scott Reid, président du caucus national, Mme Bergen a été élue cheffe par intérim au terme d’une course à neuf candidats.

En début de journée, près de 62 % des députés conservateurs avaient voté pour retirer leur confiance à Erin O’Toole.

Chef des conservateurs depuis 18 mois, M. O’Toole a ainsi échoué à obtenir les appuis nécessaires lors d’un scrutin secret au caucus, tenu en mode virtuel. Environ le tiers du caucus avait signé une lettre réclamant la tenue de ce vote de confiance des députés, prévu par la Loi sur le Parlement du Canada.

Selon le président du caucus, Scott Reid, 73 députés ont voté pour le remplacement de M. O’Toole comme chef, tandis que 45 députés étaient en faveur de son maintien. Le président du caucus n’a pas voté, ce qui fait que 118 députés pouvaient se prononcer mercredi sur le sort de leur chef.

Dans une vidéo de six minutes qu’il a publiée sur les réseaux sociaux, mercredi après-midi, M. O’Toole déclare qu’il restera député conservateur de Durham. Il promet également d’être loyal envers le prochain chef du parti et il exhorte tous les conservateurs à faire de même.

M. O’Toole offre aussi quelques réflexions sur ce que devrait faire le parti s’il veut prendre le pouvoir. «Je crois que notre pays a besoin d’un Parti conservateur qui est une force intellectuelle et une force pour gouverner, dit-il. L’idéologie sans pouvoir est futile. Chercher le pouvoir sans idéologie, c’est de l’arrogance.»

Il fait ensuite une recommandation aux conservateurs, au premier ministre Justin Trudeau et aux députés de tous les partis à Ottawa: «Audi alteram partem» — écoutez les autres voix.

Trois sources au sein du caucus, qui ont parlé sous couvert d’anonymat, ont indiqué que M. O’Toole avait déclaré à ses collègues que si les députés votaient pour qu’il reste, il était prêt à se soumettre à un vote de confiance des militants avant le congrès national de 2023. C’est précisément ce que réclamaient plusieurs de ses détracteurs depuis des mois.

Après le vote, les députés ont remercié M. O’Toole pour ses services et ils ont dit qu’ils étaient prêts à passer à autre chose. «Le caucus a parlé, a écrit le député de Regina Michael Kram sur Twitter. Un chef ne peut pas diriger s’il n’a pas la confiance de ses collègues du caucus.»

Le député conservateur de la région de Québec Pierre Paul-Hus a déclaré après la rencontre: «Je pense que nous sommes plus unis que jamais».

«Honnêtement, on a tous la même intention, le même intérêt, c’est d’avancer et de pouvoir la prochaine fois gagner nos élections, gagner le gouvernement, c’est ce qui est notre priorité numéro un. Donc, j’avoue qu’il y avait certaines tensions pour différentes raisons, mais là maintenant on regarde vers l’avant, on veut que ça fonctionne», a-t-il dit en entrevue.

Selon Pierre Paul-Hus, M. O’Toole a démontré de «l’intérêt très fort pour les demandes du Québec». 

Questionné sur les éléments déterminants pour le vote contre M. O’Toole, le député québécois a dit croire qu’il ne s’agissait «pas vraiment de divisions sur les enjeux sociaux», mais plutôt «au niveau du leadership en général».

«Premièrement, ça remonte déjà à la course à la chefferie. M. O’Toole s’était présenté d’une façon aux membres du Parti conservateur pour avoir le vote. Et au lendemain de son élection, il a fait 180 degrés. Ça a déplu beaucoup parce qu’on dit: “vous avez créé un personnage et finalement vous n’êtes pas ce personnage”», a-t-il tout de même affirmé.

Pierre Paul-Hus a aussi souligné que M. O’Toole avait eu «un peu de difficulté» à répondre à des questions des médias en campagne électorale.

Course à la direction 

Le parti se lancera dans une course à la direction pour la troisième fois depuis que l’ancien premier ministre Stephen Harper a perdu le pouvoir au profit des libéraux en 2015.

Le lieutenant de M. O’Toole au Québec, Alain Rayes, a estimé mercredi en entrevue que cette personne devra avoir «une notoriété, être naturellement capable de s’exprimer dans les deux langues officielles, et capable d’unir tous les conservateurs de partout au pays sur les enjeux sur lesquels la population canadienne est préoccupée — que ce soit le coût de la vie, l’inflation, la saine gestion des finances publiques».

Le sénateur conservateur Claude Carignan a indiqué mercredi que le nom de Pierre Poilièvre circule beaucoup. «Je pense que Pierre a la capacité et pourrait avoir les appuis suffisants pour gagner la chefferie», a estimé le sénateur québécois en entrevue. Il ajoute que Peter MacKay, «qui a tenté sa chance la dernière fois, va sûrement être tenté de retourner à la chefferie». 

Une réforme de la Loi du Parlement du Canada, en vigueur depuis 2015, permet aux députés d’un parti de déclencher un «examen de la direction», au lieu d’attendre que la question soit posée aux militants. Il suffit qu’un avis écrit, signé par au moins 20 % des députés d’un groupe parlementaire, demande cet examen au président du caucus. Le caucus conservateur est le seul à avoir voté l’année dernière pour accepter que cette règle soit contraignante.

En prévision de la tenue du vote, la garde rapprochée de M. O’Toole avait multiplié les appels auprès des députés afin de renforcer les appuis du chef. M. O’Toole a publié mardi soir un message sur les réseaux sociaux dans lequel il dépeignait les dissidents comme des gens qui croient que le parti devrait avoir des opinions plus radicales comme celles du député ontarien Randy Hillier ou de l’ex-député Derek Sloan.

De son côté, le député saskatchewanais Jeremy Patzer a partagé avec le caucus une déclaration réclamant un nouveau chef, qui avait reçu l’appui de 21 anciens élus conservateurs, dont l’ancien ministre de l’Agriculture Gerry Ritz.

«Erin O’Toole n’a pas seulement échoué à unir le parti: ses paroles et ses actions ces derniers jours ont créé une plus grande désunion, lit-on dans le communiqué obtenu par La Presse Canadienne. Il est temps pour lui de se retirer, pour le bien du Parti conservateur et de la nation.»

Chef depuis 18 mois

Erin O’Toole, âgé de 48 ans, avait pris la direction du parti en août 2020. Cet avocat de société et ancien combattant de l’armée de l’air, né à Montréal en 1973, a été élu pour la première fois aux Communes en 2012, lors d’une élection partielle dans la circonscription ontarienne de Durham, où son père avait déjà été député provincial.

M. O’Toole a été ministre des Anciens Combattants dans le gouvernement de Stephen Harper jusqu’à la défaite des conservateurs aux mains des libéraux en 2015. Il avait brigué une première fois la chefferie en 2017, mais avait terminé troisième, derrière Andrew Scheer et Maxime Bernier. 

Ses détracteurs lui reprochaient surtout le fait que lors de la course à la chefferie de 2020, il s’était positionné comme le «vrai bleu» devant son adversaire Peter MacKay. Cet ancien député de la Nouvelle-Écosse avait été chef du Parti progressiste-conservateur avant qu’il ne fusionne avec l’Alliance canadienne pour former l’actuel Parti conservateur du Canada.

Une fois élu, M. O’Toole a cependant voulu imposer des changements qu’il jugeait nécessaires afin de faire des gains dans des régions «riches en votes», comme le Grand Toronto. Dans sa volonté de moderniser le parti et de s’éloigner de l’image de M. Scheer, le nouveau chef a mis de l’avant son appui au droit à l’avortement et aux droits des personnes LGBTQ+. 

Il a également appuyé la tarification du carbone, alors que plusieurs députés de son parti s’étaient battus pendant des années contre la «taxe carbone» des libéraux. D’autres électeurs ont aussi été échaudés par des positions d’Erin O’Toole, comme les propriétaires d’armes à feu et les «conservateurs sociaux», qui ont vu leur chef changer de cap sur diverses promesses au beau milieu de la campagne électorale de 2021. 

D’autres ont souligné qu’au bout du compte, le parti avait obtenu deux sièges de moins qu’avec Andrew Scheer et que les gains essentiels dans les grandes villes et les banlieues ne s’étaient pas matérialisés malgré le «recentrage» effectué par M. O’Toole.

Depuis la défaite électorale de septembre 2021, M. O’Toole peinait à rallier son caucus autour d’enjeux importants comme la vaccination obligatoire, à laquelle s’opposent fermement plusieurs députés conservateurs.