Projet de loi 21: Québec interdit les signes religieux aux enseignants

Le projet de loi 21 fait donc primer l’objectif de laïcité de l’État sur le respect des droits individuels, dont la liberté religieuse, garantis par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte québécoise des droits de la personne.

Photo : La Presse canadienne

QUÉBEC — Le gouvernement Legault fait fi des Chartes des droits en interdisant aux enseignants et à une longue liste d’autres catégories d’employés de l’État de porter des signes religieux.

Le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État, déposé jeudi par le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, vise à éviter tout risque de contestation judiciaire en décrétant d’emblée que la loi s’appliquera «indépendamment» de la loi constitutionnelle de 1982.

Il fait donc primer l’objectif de laïcité de l’État, «valeur fondamentale», sur le respect des droits individuels, dont la liberté religieuse, garantis par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte québécoise des droits de la personne. Il modifie cette dernière afin d’y inscrire que les droits fondamentaux doivent s’exercer dans le respect de la laïcité de l’État.

Le projet de loi fera l’objet de consultations «particulières», donc limitées et sur invitation, pour assurer son adoption rapide, avant l’ajournement des travaux parlementaires de la mi-juin.

Avant même le dépôt de la pièce législative à l’Assemblée nationale, la Commission scolaire English-Montreal a annoncé qu’elle refusera d’en appliquer les dispositions. Le ministre Jolin-Barrette estime qu’il serait «inopportun» pour un corps public d’enfreindre l’éventuelle loi, mais concède qu’il n’a prévu aucune sanction pénale financière ou administrative à imposer aux contrevenants.

En Chambre, il s’est dit très fier de tracer «une frontière très claire entre l’État et la religion» au Québec. «Il s’agit d’une avancée historique», a-t-il soutenu en conférence de presse, estimant que son projet de loi, «pragmatique et applicable», assure un équilibre entre droits collectifs et droits individuels.

À noter que le projet de loi ne donne pas de définition de ce qui sera considéré comme un «signe religieux», aux yeux de Québec. «Tous les signes religieux» seront visés, kippa, hijab, croix, turban sikh ou autre, pour «toutes les religions», a précisé le ministre, et ce, quelle que soit la nature ou la taille de l’objet, et qu’il soit apparent ou non.

Mais, «c’est sûr que, le matin, il n’y aura pas de fouille à nu pour vérifier si la personne porte un signe religieux, vous comprendrez», a-t-il ajouté.

Catégories d’emplois visées 

Plusieurs catégories d’employés de l’État en position d’autorité sont visées par ce projet de loi.

Dans le secteur de l’éducation, on trouve les enseignants du primaire et du secondaire oeuvrant dans le réseau public, de même que les directeurs d’école et les directeurs adjoints. Le secteur scolaire privé est exclu.

Dans le secteur judiciaire, le port de signes religieux sera interdit notamment aux agents de la paix (policiers, gardiens de prison, agents de la faune), juges de paix, greffiers, commissaires membres de commissions d’enquête, procureurs et arbitres au sens du Code du travail.

Les juges seront épargnés par la future loi, mais le gouvernement confie au Conseil de la magistrature «la responsabilité d’établir des règles traduisant les exigences de la laïcité de l’État».

À la liste de tous ceux qui ne pourront plus afficher de signes religieux dans l’exercice de leurs fonctions, il faut ajouter le président de l’Assemblée nationale et les vice-présidents, de même que le ministre de la Justice, les gardes du corps et les constables spéciaux.

En vertu du principe de «droit acquis», les employés visés déjà en fonction pourront cependant continuer à porter leurs signes religieux, tant qu’ils conservent leur poste actuel. Personne ne sera donc congédié en raison du port de signes religieux. Mais si, par exemple, une enseignante qui porte le voile déménage et change de commission scolaire, elle perdra son droit acquis et devra obligatoirement se découvrir. De même pour une enseignante qui voudrait devenir directrice d’école. Tout changement de poste signifie la perte du droit acquis, a souligné le ministre.

«La société québécoise a cheminé au cours des années. On invite les gens qui portent un signe religieux à cheminer aussi dans le parcours personnel, a déclaré Simon Jolin-Barrette. Éventuellement, il n’y aura plus d’enseignants qui porteront des signes religieux.»

Visage découvert obligatoire

Comme l’avait fait le gouvernement libéral précédent, avec la loi 62 qui fait l’objet d’un recours judiciaire, le projet de loi 21 revient à la charge en vue d’imposer à tous d’avoir le visage découvert pour donner ou recevoir un service de l’État. Aucune demande d’accommodement ne sera acceptée.

Aucun passe-droit ne sera toléré: le projet de loi 21 prévoit «que la personne qui ne respecte pas cette obligation ne peut recevoir le service» gouvernemental.

En mêlée de presse, le premier ministre François Legault a dit espérer que sa législation provoquera «le moins de dérapages possibles». Il s’est dit pressé de pouvoir «tourner la page».

Réactions mitigées

Fidèle à sa position traditionnelle, le Parti libéral du Québec (PLQ) s’est opposé au projet de loi caquiste sur la laïcité. La porte-parole en matière de laïcité, Hélène David, a déclaré que son parti allait «porter la voix des citoyens qui aspirent avant tout à travailler dans la société et qui vont voir leurs rêves brisés parce qu’ils ne veulent pas choisir entre religion et pouvoir exercer un métier».

De son côté, le Parti québécois (PQ), instigateur de la défunte Charte des valeurs, et favorable au projet de loi gouvernemental, a demandé à ce qu’il aille encore plus loin et que la loi s’applique aux écoles privées subventionnées et aux services de garde.

Québec solidaire (QS) a pour sa part fait valoir que le projet de loi 21 n’en était pas un de «compromis» ni «d’apaisement». Il annonce des «affrontements stériles» et estime qu’il aura un impact négatif sur les minorités religieuses, a commenté le député de Laurier-Dorion, Andrés Fontecilla. 

Les membres de QS débattront d’ailleurs de cet épineux dossier lors d’un conseil national samedi et dimanche au cégep Limoilou, à Québec.      

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Ils ont dit:

«Au cours de la dernière décennie, les gouvernements n’ont pas été en mesure d’avancer sur cet enjeu fondamental. Nous avons choisi d’élaborer une loi répondant à la volonté des Québécois. Ils souhaitent que leur gouvernement agisse enfin sur cet enjeu. Certains trouveront que nous allons trop loin, d’autres pas assez. Pour notre part, nous sommes convaincus d’avoir trouvé le juste équilibre.»

Simon Jolin-Barrette, ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion 

«Par ce projet de loi, le gouvernement de la CAQ nous ramène un débat dans lequel il nous apparaît essentiel de respecter l’équilibre toujours fragile entre la recherche d’un mieux vivre ensemble et la protection des minorités. Cette recherche d’équilibre ne doit pas se faire au détriment des droits fondamentaux. C’est ce qu’a toujours défendu le Parti libéral du Québec et c’est ce qui guidera nos propositions tout au long de l’étude du projet de loi.»

Hélène David, députée de Marguerite-Bourgeoys et porte-parole de l’opposition officielle en matière de laïcité

«En quoi un régisseur de la Régie du bâtiment, de la Régie de l’énergie ou de la Régie des marchés agricoles peut-il être discriminé au nom de la laïcité, et je vous rappelle, c’est l’État qui est laïc, pas les individus.»

Andrés Fontecilla, porte-parole de Québec solidaire en matière d’immigration, de diversité et d’inclusion

«Ils (les caquistes) ont averti les écoles privées: « Ne vous inquiétez pas, nous, on a un préjugé très favorable envers les écoles privées ». C’est un choix que la CAQ a fait pour accommoder cette clientèle qui lui échappe. Parce qu’il n’y a toujours pas d’explications (pour ce choix).»

Pascal Bérubé, chef intérimaire du Parti québécois