MONTRÉAL — L’avocate Anne-France Goldwater revient à la charge pour obtenir l’égalité de traitement entre conjoints de fait et couples mariés lors d’une rupture.
«Le droit de la famille québécois perçoit les femmes non mariées et leurs enfants comme ayant moins de valeur que les familles mariées et c’est pire encore pour les femmes conjointes de fait qui n’ont pas d’enfants», a-t-elle déclaré en conférence de presse virtuelle, mercredi.
«Pourquoi les femmes au Québec ne sont-elles pas égales dans le droit québécois? On a un chapitre dans le Code civil qui s’appelle ‘la famille’ où les femmes non mariées sont évacuées.»
Après avoir essuyé un demi-échec en Cour suprême dans l’affaire Eric contre Lola, Me Goldwater estime que le temps a démontré que la décision du plus haut tribunal ne tient plus la route.
En 2013, la Cour suprême avait statué qu’il y avait bel et bien discrimination envers les couples en union de fait, qui ne bénéficiaient pas des règles encadrant le divorce, notamment en matière de partage du patrimoine et de pension alimentaire au conjoint. La Cour avait toutefois estimé que cette discrimination était justifiée en vertu de la volonté du gouvernement de privilégier l’autonomie des couples plutôt que la protection des conjoints. Immédiatement après, Québec avait cependant promis de réformer la loi pour accorder une plus grande protection aux conjoints de fait, promesse qui n’a jamais été remplie jusqu’à ce jour.
«Nathalie» vs. «Pierre»
Devant cette inaction, Me Goldwater a présenté une nouvelle requête en Cour supérieure contestant la constitutionnalité de tous les articles touchant le droit de la famille dans le Code civil du Québec et l’article 47 de la Charte des droits et libertés du Québec. La requête de «Nathalie» contre «Pierre», un couple en union de fait depuis 30 ans ayant quatre enfants, s’appuie sur le même argumentaire de discrimination, qui est déjà reconnue par la Cour suprême, et ajoute toutes les promesses non remplies des gouvernements libéral, péquiste et caquiste successifs de réformer le droit de la famille.
Me Goldwater estime que la situation actuelle représente une forme de «sexisme systémique», une injustice qui s’est aggravée avec la pandémie puisqu’il est démontré que les femmes en ont davantage souffert économiquement que les hommes. «Pourquoi fallait-il avoir une pandémie pour convaincre les leaders que les femmes sont économiquement désavantagées?» s’interroge-t-elle.
Discrimination tant pour l’enfant que pour le parent
Au Québec, dans l’état actuel du droit, un ou une conjointe de fait n’a pas droit à une pension alimentaire pour elle-même, pas plus qu’au partage du patrimoine familial ou à l’occupation du domicile après la rupture, par exemple. Bien que les enfants d’une union libre aient droit à une pension alimentaire, le fait qu’un de leurs parents en soit privé et n’ait pas accès au partage de richesse du couple implique une perte de qualité de vie tant pour l’enfant que pour le conjoint. Or, depuis quelques années, la majorité des enfants proviennent d’une union de fait et non d’un mariage.
«Il y a deux ensembles de règles pour les deux groupes d’enfants au Québec, dont la majorité étant nés de parents non mariés ont moins de droits que la minorité qui naissent des unions légitimes, c’est-à-dire des gens mariés légalement», dénonce Me Goldwater.
Réforme du droit de la famille attendue
Comme ses prédécesseurs, le gouvernement Legault promet une réforme du droit de la famille, qui n’a pas été revu depuis 1980. Mais déjà, Me Goldwater estime que sa requête en Cour supérieure lui permettrait de faire un grand pas.
«La solution serait très simple: que le gouvernement continue à ne rien faire. Ils n’ont qu’à acquiescer à la poursuite que j’ai entamée et ce serait une reconnaissance que toutes les mères et tous leurs enfants méritent les mêmes droits et le même niveau de soutien afin de répondre à leurs besoins de base.»
Selon elle, il ne faudrait «qu’un trait de plume» du gouvernement pour régler le débat, soit d’ajouter les conjoints de fait à la définition de couple et de famille, comme il l’a fait pour les conjoints de même sexe lorsque ceux-ci réclamaient le droit aux mêmes avantages que les couples hétérosexuels mariés.
Non à l’«opting out»
Anne-France Goldwater n’est toutefois pas en accord avec l’idée d’un système de droit de sortie («opting out») qui permettrait à un couple en union libre de se soustraire aux obligations légales du mariage, une possibilité qui équivaut à cette volonté exprimée par le gouvernement dans le passé de privilégier l’autonomie. Pour elle, un engagement est un engagement, qu’il soit validé ou non par une cérémonie de mariage.
«Ça fait appel à une attitude plus honorable chez le conjoint plus fortuné, mais c’est cette valeur que le législateur doit valoriser., de ne pas penser à la protection du conjoint avantagé, mais de penser à la protection du conjoint désavantagé.»
Elle souligne que les contrats de cohabitation parfois conclus entre conjoints non mariés ne sont balisés par aucune législation et s’avèrent souvent catastrophiques après une rupture.