FREDERICTON — Le gouvernement du Nouveau-Brunswick a annoncé son nouveau programme d’immersion en français, qui réduit le temps d’apprentissage en français des élèves du primaire, suscitant des critiques cinglantes de la part d’une association de parents anglophones.
À partir de septembre prochain, les élèves de la maternelle et de la première année passeront la moitié de leur journée à faire des «activités d’apprentissage exploratoire» en français, a annoncé jeudi le ministre de l’Éducation, Bill Hogan.
Ces élèves passeront l’autre moitié de leur journée à apprendre en anglais des matières comme les mathématiques, la lecture et l’écriture. D’autres matières, comme les sciences et les études sociales, pourraient être apprises en français, a-t-il ajouté.
L’objectif, a déclaré le ministre Hogan, est que tous les élèves anglophones obtiennent leur diplôme en pouvant au moins soutenir une conversation en français. Il a affirmé que cette réforme était nécessaire car moins de la moitié des diplômés du secondaire du secteur anglophone sont capables de soutenir une conversation en français.
«Grâce à ce modèle, les élèves pourront s’immerger dans le français dès leur plus jeune âge, interagir avec leurs pairs et explorer leur environnement en français», a-t-il déclaré en conférence de presse.
Mais ce nouveau programme réduit en fait le temps que les élèves passeront à apprendre en français. Le programme d’immersion actuel au Nouveau-Brunswick, la seule province officiellement bilingue au Canada, offre aux élèves jusqu’à 90 % du temps de classe en français.
Cette réforme ferait aussi passer de 50 % à 40 % le temps que les élèves du secondaire en immersion consacrent à l’apprentissage en français.
Le ministre Hogan a précisé jeudi que les élèves de la maternelle et de la première année en septembre conserveraient ce modèle 50-50 tout au long de leurs années au primaire.
«Bien que la feuille de route soit encore susceptible de changer, nous pensons qu’ils devraient être en mesure de poursuivre l’apprentissage 50-50 anglais-français jusqu’en 5e année avec l’objectif final de pouvoir continuer à explorer les possibilités d’apprentissage plus avancé du français au secondaire, en fonction de leurs objectifs et de leurs intérêts et de ce qu’ils veulent accomplir.»
«Un boulet de démolition»
La décision du gouvernement de Blaine Higgs de réformer le programme d’immersion dès septembre prochain a soulevé la controverse au Nouveau-Brunswick; elle a provoqué notamment, en octobre, la démission du ministre de l’Éducation, Dominic Cardy.
Dans sa lettre de démission, en octobre, Dominic Cardy reprochait à M. Higgs d’avoir agi trop rapidement pour réformer le programme d’immersion. Il soutenait aussi que le premier ministre avait ignoré les données probantes montrant que le programme actuel fonctionnait très bien.
«Vos récents efforts pour faire pression sur le (ministère) afin d’abolir l’immersion en français d’ici septembre 2023, une initiative qui n’est pas incluse dans notre plateforme ou dans le discours du Trône, et qui n’a pas été partagée ou approuvée par le Cabinet ou le caucus, exercerait une pression énorme sur le système d’éducation et nuirait à l’éducation des élèves anglophones de notre province», écrivait M. Cardy dans sa lettre de démission.
«Des changements sérieux à notre système d’éducation en français langue seconde sont nécessaires. Le changement exige de la prudence, pas un boulet de démolition.»
Le programme proposé par le gouvernement Higgs est basé sur un modèle utilisé à Bathurst de la fin des années 1990 jusqu’au début des années 2000. Le ministre Hogan a déclaré que le nouveau cadre avait été développé sur la base de discussions avec des experts, des enseignants et des élèves, et l’examen de la recherche existante.
«Ce n’est pas de l’immersion»
Mais pour Chris Collins, directeur de l’association des parents canadiens pour le français, ce programme «50-50» n’est pas une immersion.
«L’immersion, c’est quand vous prenez des enfants et que vous les jetez dans la piscine, pour qu’ils apprennent à nager, a déclaré M. Collins. Là, on a affaire à un groupe d’élèves qui barbotent dans la partie peu profonde.
«Ce n’est pas de l’immersion française: ils l’abolissent, ils le font lentement. Leur objectif est le « français conversationnel »: ce devrait être le bilinguisme. Le français conversationnel ne fait pas de vous quelqu’un de bilingue.»
M. Collins se demande d’ailleurs pourquoi le gouvernement Higgs «s’en prend ainsi au français».
«Vont-ils baisser la barre en ce qui concerne les exigences gouvernementales en matière de français au niveau gouvernemental ? Vont-ils dire « Non, non, vous avez juste besoin d’un français conversationnel » Est-ce que nous renonçons à être une province bilingue de ce pays? Est-ce que nous renonçons à cela avec ce premier ministre?»
Le président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Alexandre Cédric Doucet, avait déjà dénoncé le projet du gouvernement de réformer ce qui constitue selon lui une réussite canadienne. «Je pense qu’une attaque contre le programme d’immersion française est une attaque contre les langues officielles», déclarait-il en novembre.
L’Institut de recherche en langues secondes du Canada, à l’Université du Nouveau-Brunswick, se disait «profondément troublé» par l’intention du gouvernement d’introduire un nouveau programme dès l’an prochain. L’Institut estime que l’élaboration d’un nouveau programme scolaire constitue une «tâche colossale».
Le gouvernement tiendra quatre séances de consultation publique en personne et deux virtuelles avant de finaliser les plans, a déclaré le ministre Hogan. M. Collins a qualifié cette consultation d’«écran de fumée».
«Ils iront dans une localité, ils feront tout un spectacle et ils inviteront qui ils doivent inviter et (la réforme) sera mise en place, il n’y a aucun doute là-dessus, a-t-il déclaré. C’est vraiment décevant.»