QUÉBEC — Les critiques acerbes sur le sort réservé aux femmes dans le budget 2021-2022, déposé la veille par le ministre des Finances, ont fusé vendredi envers le gouvernement Legault, soupçonné d’indifférence.
Provenant de la classe politique et de certains groupes de femmes, les voix se sont multipliées pour dénoncer le manque de leadership du gouvernement dans ce dossier, et déplorer l’absence présumée de souci d’aider les femmes vulnérables, notamment celles victimes de violence conjugale.
On sent une brèche sérieuse dans le climat de confiance envers le gouvernement Legault, alors que le leadership de la ministre de la Condition féminine, Isabelle Charest, paraît contesté.
«On se sent profondément humiliées de ne pas être entendues» par le gouvernement Legault, a déploré en entrevue la présidente de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, Manon Monastesse.
Jeudi, Québec a annoncé un ajout de 22 millions $ sur cinq ans pour le réseau des maisons qui accueillent des femmes victimes de violence à la recherche d’un hébergement temporaire. Cela donne 4,5 millions $ par an à répartir entre une centaine de maisons.
«Qu’est-ce que vous faites avec ça?», s’interroge Mme Monastesse, qui juge la somme bien modeste pour procéder à des embauches et offrir davantage de services. Elle réclamait 70 millions $ pour ouvrir davantage de maisons et ainsi mieux répondre à la demande, qui ne cesse d’augmenter. Les maisons refusent des milliers de femmes chaque année, faute de places.
Elle se demande aussi quand les chèques promis jeudi seront dans la poste. L’an dernier, en mars, la ministre Charest s’était engagée à verser de toute «urgence» 24 millions $ au réseau, sur une base régionale. Un an plus tard, seulement deux des 17 régions ont reçu leur chèque. Jeudi, la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, a promis que les autres chèques attendus l’an dernier seraient versés incessamment.
«C’est insultant», cette façon de traiter les groupes de femmes, conclut Mme Monastesse, inquiète de n’avoir trouvé aucun «message féministe dans le budget» déposé jeudi.
Les députés de l’opposition avaient convoqué le ministre des Finances, Eric Girard, vendredi, dans le cadre d’une interpellation de deux heurtes devant permettre de décortiquer le budget. Mais le ministre était absent et avait délégué son collègue Éric Caire pour répondre à leurs questions.
Solidaires et libéraux en sont venus à la même conclusion: le budget 2021-2022 ne fait pas de place aux femmes.
«Le gouvernement a clairement oublié les femmes dans ce budget-là», même si elles forment la moitié de la population, a commenté en point de presse le critique en finances de l’opposition libérale, André Fortin.
«Ce gouvernement ne semble pas prendre cette question au sérieux», a renchéri le porte-parole solidaire en finances, Vincent Marissal, en rappelant que les femmes occupaient majoritairement les secteurs les plus touchés par la pandémie.
Après sept féminicides survenus au Québec en autant de semaines, il s’est interrogé sur la stratégie du gouvernement pour lutter contre la violence conjugale.
«Je ne sais pas ce que le gouvernement n’a pas compris dans l’appel à l’aide des femmes et des groupes» qui luttent contre la violence, a commenté M. Marissal, en point de presse.
Vu l’ampleur de la crise, le député solidaire de Rosemont croit le moment venu d’organiser de toute urgence une rencontre «au sommet» avec le premier ministre François Legault, en vue de le convaincre de créer un secrétariat destiné exclusivement à lutter contre les violences sexuelles et conjugales, un enjeu qui devrait être promu au rang de priorité nationale.
Isabelle Charest critiquée
En filigrane, on remet en question le leadership de la ministre de la Condition féminine, dont l’influence sur le conseil des ministres est mise en doute.
Selon André Fortin, il faut admettre que Mme Charest «a échoué à sa tâche» à la condition féminine. Il croit qu’elle n’a pas fait tout ce qu’il fallait pour faire la promotion de ses dossiers auprès du ministre des Finances.
Elle n’a pas «fait la preuve à ce jour qu’elle est capable de porter ce dossier-là avec efficacité et de livrer» la marchandise, a renchéri Vincent Marissal. «Visiblement», selon lui, l’influence de Mme Charest auprès du ministre Eric Girard est bien relative, n’ayant pas su lui soutirer les sommes d’argent requises.
C’est «tout le conseil des ministres qui est la source du problème», tranche de son côté Mme Monastesse, qui veut entendre le premier ministre Legault dire haut et fort que la violence conjugale «c’est criminel».
La députée libérale porte-parole en condition féminine, Isabelle Melançon, estime que les femmes sont exclues de la relance économique, alors que les secteurs privilégiés, comme l’industrie de la construction, sont à forte prédominance masculine.
On observe «un manque de considération pour les femmes» au gouvernement, constate-t-elle en entrevue. Le gouvernement se targue d’être en action, mais «l’action n’est pas au rendez-vous», selon elle.
Or la ministre Charest a un devoir de leadership , «un devoir de réponse» aux demandes du milieu, fait-elle valoir.
La ministre Charest n’a pas donné suite à demande d’entrevue.