Candida auris se propage; les changements climatiques pourraient être en cause

SEATTLE — En 2016, des hôpitaux de l’État de New York ont identifié une infection fongique rare et dangereuse qui n’avait jamais été observée auparavant aux États-Unis. Les laboratoires de recherche se sont rapidement mobilisés pour examiner les spécimens historiques et ont découvert que le champignon était présent dans le pays depuis au moins 2013. 

Au cours des années qui ont suivi, la ville de New York est devenue le point zéro des infections à Candida auris. Et jusqu’en 2021, l’État a enregistré le plus grand nombre de cas confirmés dans le pays année après année, même si la maladie s’est propagée à d’autres endroits, selon les données des Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) analysées par l’Associated Press.

Le Candida auris est une menace de santé publique émergente à l’échelle mondiale qui peut provoquer des maladies graves, notamment des infections de la circulation sanguine, des plaies et des voies respiratoires. Son taux de mortalité a été estimé entre 30 % et 60 %, et il représente un risque particulier dans les établissements de santé pour les personnes souffrant déjà de graves problèmes médicaux.

Une première éclosion de Candida auris a été détectée au Québec en septembre 2022, à l’hôpital Pierre-Boucher.

L’année dernière, la plupart des cas aux États-Unis ont été recensés au Nevada et en Californie, mais le champignon a été identifié cliniquement chez des patients dans 29 États. L’État de New York reste l’un des principaux points chauds.

Le changement climatique est l’une des principales théories expliquant l’explosion soudaine de Candida auris, qui n’avait pas été détecté chez l’homme avant 2009. 

Les humains et les autres mammifères ont une température corporelle plus élevée que celle que la plupart des champignons pathogènes peuvent tolérer, et ont donc été historiquement protégés de la plupart des infections. Toutefois, la hausse des températures peut permettre aux champignons de développer une tolérance à des environnements plus chauds et, avec le temps, les humains pourraient perdre leur résistance. Certains chercheurs pensent que c’est ce qui se passe déjà avec Candida auris.

Apparition spontanée

Ce pathogène est apparu spontanément il y a 14 ans sur trois continents, au Venezuela, en Inde et en Afrique du Sud. Le spécialiste des maladies fongiques Arturo Casadevall, qui est microbiologiste, immunologiste et professeur à l’université Johns Hopkins, a estimé que cette situation était surprenante, car les climats de ces pays sont très différents.

«Nous sommes extrêmement bien protégés contre les champignons environnementaux en raison de notre température. Cependant, si le monde se réchauffe et que les champignons commencent à s’adapter à des températures plus élevées, certains vont atteindre ce que j’appelle la barrière thermique», a expliqué M. Casadevall en référence à la façon dont les températures corporelles chaudes des mammifères les protégeaient historiquement.

Selon Meghan Marie Lyman, une épidémiologiste médicale au Centre de prévention et de contrôle des maladies pour la branche des maladies mycosiques, lorsque le Candida auris s’est répandu pour la première fois, les cas étaient liés à des personnes qui avaient voyagé aux États-Unis depuis d’autres endroits. Aujourd’hui, la plupart des cas sont contractés localement et se propagent généralement parmi les patients dans les établissements de santé.

Aux États-Unis, 2377 cas cliniques confirmés ont été diagnostiqués l’année dernière, soit une augmentation de plus de 1200 % depuis 2017. Mais le Candida auris est en train de devenir un problème mondial. En Europe, une enquête réalisée l’année dernière a révélé que le nombre de cas avait presque doublé entre 2020 et 2021.

«Le nombre de cas a augmenté, mais la répartition géographique a également augmenté», a rappelé Mme Lyman. Elle souligne que si les dépistages et la surveillance se sont améliorés, la montée en flèche du nombre de cas reflète une véritable augmentation.

En mars, un communiqué de presse du CDC soulignait la gravité du problème, citant la résistance de l’agent pathogène aux traitements antifongiques traditionnels et la vitesse alarmante de sa propagation. Les agences de santé publique se concentrent principalement sur des stratégies visant à réduire d’urgence la transmission dans les établissements de soins de santé.

«C’est en quelque sorte un feu actif qu’ils essaient d’éteindre», a décrit Mme Lyman.

Le docteur Luis Ostrosky, qui est professeur de maladies infectieuses à l’Université de Houston, estime que le Candida auris est «une sorte de scénario cauchemardesque».

«Il s’agit d’un agent pathogène potentiellement multirésistant qui a la capacité de se propager très efficacement dans les établissements de soins de santé, a-t-il dit. Nous n’avons jamais eu un tel agent pathogène dans le domaine des infections fongiques.»

Il est presque toujours résistant à la classe la plus courante de médicaments antifongiques, et il est parfois également résistant à un autre médicament principalement utilisé pour les infections fongiques graves dans les hôpitaux.

«J’ai rencontré des cas où je devais m’asseoir avec la famille et lui dire que nous n’avions rien qui fonctionne pour l’infection dont souffre votre proche», a dit le docteur Ostrosky.

Le docteur Ostrotsky a traité une dizaine de patients atteints de cette infection fongique, mais il en a vu plusieurs autres. Il dit avoir vu l’infection se propager dans toute une unité de soins intensifs en l’espace de deux semaines.

Les chercheurs, les universitaires et les groupes de santé publique discutent et étudient les théories qui expliquent l’émergence du Candida auris. Selon le docteur Ostrosky, le changement climatique est la théorie la plus largement acceptée. 

Selon Mme Lyman, du CDC, il est possible que le champignon ait toujours fait partie des micro-organismes vivant dans le corps humain, mais comme il ne provoquait pas d’infection, personne n’a enquêté jusqu’à ce qu’il commence récemment à causer des problèmes de santé. Elle ajoute que des rapports font état de la présence du champignon dans l’environnement naturel, notamment dans le sol et les zones humides, mais que l’échantillonnage environnemental a été limité et qu’il n’est pas certain que ces découvertes soient des effets en aval de l’homme.

«De nombreuses questions se posent également quant à l’augmentation des contacts avec l’homme et à l’intrusion de l’homme dans la nature, ainsi qu’à l’évolution de l’environnement et à l’utilisation de champignons dans l’agriculture, a-t-elle dit. Ces éléments ont pu permettre à Candida auris de s’échapper dans un nouvel environnement ou d’élargir sa niche.»

Quel que soit le lieu et la manière dont il est apparu, ce champignon constitue une menace importante pour la santé humaine, selon les chercheurs. Les patients immunodéprimés dans les hôpitaux sont les plus vulnérables, mais il en va de même pour les personnes dans les centres de soins de longue durée et les maisons de retraite, qui ont généralement moins accès aux diagnostics et aux experts en contrôle des infections.

Le Candida auris est non seulement difficile à traiter, mais aussi à diagnostiquer. Il est assez rare et de nombreux cliniciens ne savent pas qu’il existe.

Les symptômes courants de l’infection sont la septicémie, la fièvre et l’hypotension artérielle, qui peuvent avoir de nombreuses causes. Le champignon est diagnostiqué à l’aide d’un test sanguin. Le sang est placé dans un milieu riche en nutriments pour permettre à tout organisme infectieux de se développer et de devenir plus détectable.

Mais le docteur Ostrosky note que cette méthode rate la moitié des cas. «Il existe une technologie plus récente qui améliore la détection dans le sang, mais elle est coûteuse et n’est pas largement disponible dans les hôpitaux», a-t-il dit.

«Je pense que pour comprendre comment le réchauffement climatique exerce une pression de sélection sur les microbes, il faut penser au nombre croissant de journées très chaudes que nous connaissons, a déclaré M. Casadevall, de l’université Johns Hopkins. Chaque jour à 37,7 degrés Celsius constitue un événement de sélection pour tous les microbes concernés ― et plus il y a de jours où les températures sont élevées, plus il y a de chances que certains s’adaptent et survivent.»

«Pendant des décennies, nous sommes passés sous le radar de la mycologie parce que les infections fongiques n’étaient pas fréquentes auparavant», a déclaré le docteur Ostrosky.

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