Cent vingt ans après sa mort, que penserait l’architecte du parc du Mont-Royal?

MONTRÉAL — La décision de fermer l’une des deux routes menant au parc du Mont-Royal est le dernier rebondissement d’un débat vieux d’un siècle sur la façon d’équilibrer la conservation du refuge boisé du centre-ville avec les besoins de transport de la métropole.

L’architecte du parc, Frederick Law Olmsted, est responsable de certains des espaces verts publics les plus célèbres d’Amérique du Nord, notamment Central Park à New York. Mais ce que le célèbre paysagiste penserait de la fermeture de la voie Camillien-Houde n’est pas clair, croit Witold Rybczynski, professeur émérite de l’Université de Pennsylvanie et biographe de M. Olmsted.

«Il est très difficile d’essayer de comprendre ce qu’une personne comme M. Olmsted penserait de notre monde actuel, a souligné M. Rybczynski en entrevue avec La Presse Canadienne. C’était une personne très pragmatique.»

M. Olmsted est décédé en 1903, avant que l’usage de la voiture ne se généralise. «Je suis sûr qu’il aurait quelque chose d’intéressant à dire sur les automobiles, a poursuivi M. Rybczynski. Mais je n’ai aucune idée de ce que ce serait.»

La Ville de Montréal a demandé à M. Olmsted de concevoir un plan pour son nouveau parc du Mont-Royal en 1872, selon une étude du site commandée par la ville en 2018 et rédigée par l’historienne Denise Caron.

La voie Camillien-Houde ne faisait toutefois pas partie de la proposition de M. Olmsted. Montréal a construit la route sur le versant nord-est de la montagne à la fin des années 1950, dans le cadre d’une volonté d’étendre l’infrastructure automobile, a écrit Mme Caron. La voie Camillien-Houde rejoint le chemin du Souvenir, près du sommet, pour former un itinéraire continu à travers le mont Royal.

Mercredi, la mairesse Valérie Plante a annoncé son intention de fermer la voie Camillien-Houde aux voitures à compter de 2027 et de la rouvrir en tant que nouveau sentier piétonnier et piste cyclable deux ans plus tard. Seuls les véhicules d’urgence pourront encore emprunter la rue, a indiqué la Ville.

«La montagne n’est pas un raccourci, a déclaré Mme Plante lors d’une conférence de presse. C’est une destination.»

Cette décision fait suite à un projet-pilote controversé dans lequel la Ville a bloqué la circulation sur la montagne pendant cinq mois en 2018. Une consultation publique simultanée sur l’avenir des routes d’accès au parc du Mont-Royal a abouti à une recommandation visant à les maintenir ouvertes à la voiture.

Mais l’administration Plante soutient que la fermeture de la voie Camillien-Houde est nécessaire pour protéger la biodiversité du mont Royal et rendre le parc plus accessible aux piétons, aux cyclistes et aux personnes à mobilité réduite, qui pourraient emprunter le nouveau sentier adapté aux fauteuils roulants.

Le mont Royal, a martelé Mme Plante, «appartient à tout le monde».

D’abord un lieu de contemplation

La création d’une destination universellement accessible à tous les résidants de la ville était également l’objectif de M. Olmsted, selon le chercheur Charles Beveridge, dont l’étude de 2009 sur les plans de l’architecte pour le parc du Mont-Royal a été publiée par la Ville de Montréal.

«L’idée était que le parc soit détaché de la ville, soit un lieu tranquille de contemplation où puissent se retrouver des gens de toutes classes sociales et de toutes les origines», a renchéri le professeur d’histoire à l’Université de Sherbrooke Harold Bérubé, en entrevue.

Celui-ci a suggéré que cet idéal était en contradiction avec l’emplacement du parc, ainsi qu’avec les désirs de la bourgeoisie locale qui utilisait les sentiers carrossables conçus par M. Olmsted sur le mont Royal pour échapper à l’agitation en contrebas.

«Les gens des classes populaires ne pouvaient pas accéder au parc, parce qu’à l’époque, il était assez éloigné du noyau urbain et du quartier ouvrier, a expliqué M. Bérubé. Avoir un accès facile et peu coûteux au parc du Mont-Royal est donc devenu une question politique importante.»

Bien qu’un funiculaire a relié le sommet de la montagne et sa base est de 1885 à 1920, il n’y avait aucune liaison de transport en commun menant de l’est vers le sommet de la montagne jusqu’à l’ouverture d’un tramway en 1930, selon le récit de Mme Caron. La voie ferrée a délimité le tracé que la voie Camillien-Houde occupera près de 30 ans plus tard.

M. Beveridge a affirmé en 2009 que M. Olmsted «s’opposait à toute ascension rapide qui court-circuitait» l’expérience visuelle qu’il avait organisée pour les piétons et les cavaliers en calèche gravissant la montagne.

M. Rybczynski convient que même si l’architecte a conçu des itinéraires pour les véhicules non motorisés, le plaisir, et non le transport en commun, était leur objectif principal.«Il ne s’agissait pas de raccourcis ni d’une partie du système routier», a-t-il noté.

Le professeur Bérubé soutient que la construction de la voie Camillien-Houde a miné encore davantage la vision de M. Olmsted. «C’était vraiment une façon de traverser la montagne, de traverser le parc, a souligné M. Bérubé. Ainsi, le parc, au lieu d’être cette oasis en dehors de la ville, est devenu essentiellement un obstacle au développement de la ville.»

Central Park a subi un sort similaire lorsque ses anciennes allées carrossables ont commencé à accueillir des voitures, a rappelé M. Rybczynski. La Ville de New York a interdit l’accès des véhicules à ces sentiers en 2018, bien qu’il subsiste quatre routes en contrebas reliant les réseaux routiers à l’est et à l’ouest du parc.

La différence avec le mont Royal, a souligné M. Rybczynski, est que la voie Camillien-Houde se trouve en grande partie à la limite du parc, en partie sur un terrain acquis par la Ville après la mort de M. Olmsted.

«C’est difficile pour moi de dire que (la voie Camillien-Houde) est intrusive», a soulevé M. Rybczynski. Le professeur admet plutôt qu’il apprécie l’expérience que le parcours offre aux visiteurs.

Pour M. Bérubé, éliminer la circulation automobile sur la voie Camillien-Houde «ramènerait peut-être le parc à ses débuts, à cette idée d’un parc qui devrait être à l’extérieur de la ville».

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