Les Terre-Neuviens n’ont toujours pas digéré l’entente de Churchill Falls en 1969

SAINT-JEAN, T.-N.-L. — Alors que le premier ministre du Québec, François Legault, espère conclure un nouvel accord avec Terre-Neuve-et-Labrador sur Churchill Falls, il devra faire face à une population marquée par deux projets hydroélectriques qui ne sont pas des exemples de succès. 

M. Legault est à Saint-Jean vendredi pour discuter avec le premier ministre Andrew Furey de l’accord de 1969 sur l’hydroélectricité produite par la centrale de Churchill Falls — et de ce qui se passera après son expiration en 2041. L’accord, qui favorise fortement le Québec, a laissé un goût amer — et persistant — à Terre-Neuve-et-Labrador.

Jeff Webb, professeur d’histoire à l’Université Memorial, avance que certains résidents de Terre-Neuve-et-Labrador pensent que la province n’aurait pas subi l’«humiliation» d’avoir besoin des paiements de péréquation d’Ottawa si l’accord de Churchill Falls avait mieux servi les deux provinces.

Des décennies plus tard, cette hostilité a poussé les Terre-Neuviens à adhérer au projet hydroélectrique de Muskrat Falls, qui subit des délais constants et qui siphonne les fonds publics, ajoute le professeur Webb.

«Ça démontre bien que les gens ont l’impression que c’est quelque chose qui nous a toujours appartenu à juste titre et qui nous a été volé», a déclaré M. Webb dans une récente entrevue.

L’accord de 1969 permet à Hydro-Québec d’acheter 85 % de l’électricité produite par le barrage sur le cours supérieur du fleuve Churchill, au Labrador, et donc de récolter l’essentiel des profits. Jusqu’en 2019, l’entente a rapporté près de 28 milliards $ de profits au Québec, mais seulement 2 milliards $ environ à Terre-Neuve-et-Labrador.

En vertu de l’entente, Hydro-Québec paie un prix fixe de 0,2 cent le kilowattheure pour l’électricité de Churchill Falls. À titre de comparaison, la société d’État québécoise a déclaré dans un communiqué cette semaine qu’en 2022, elle avait obtenu en moyenne 8,2 cents le kilowattheure sur l’électricité vendue à l’extérieur de la province. Hydro-Québec a réalisé un bénéfice net record de 4,5 milliards $ l’an dernier.

Les Innus

Les Innus de Uashat mak Mani-utenam, près de Sept-Îles, au Québec, ont déposé une poursuite de 2,2 milliards $ contre Hydro-Québec plus tôt cette année, affirmant que le barrage hydroélectrique de Churchill Falls avait détruit une partie importante de leur territoire traditionnel. 

En 2020, la nation innue du Labrador avait intenté une poursuite de 4 milliards $ contre Hydro-Québec et Churchill Falls (Labrador) Corp., une filiale de Newfoundland and Labrador Hydro, pour les dommages écologiques et culturels causés par l’endiguement du cours supérieur du fleuve Churchill, au début des années 1970.

Pam Frampton, qui a pris sa retraite en 2021 en tant que rédactrice en chef du journal «The Telegram» à Saint-Jean, a grandi à l’ombre de Churchill Falls. «Il y avait toujours ces sentiments mêlés de honte et d’amertume, et le sentiment que nous avons été dupés», a-t-elle déclaré en entrevue.

Mme Frampton croit que sa province se trouverait dans une position économique complètement différente si l’accord de Churchill Falls n’avait pas été aussi déséquilibré. «Vouloir faire un doigt d’honneur au Québec, si vous voulez, ça a été une partie de l’impulsion derrière Muskrat Falls», résume Mme Frampton. 

Comme le projet de Churchill Falls, la centrale de Muskrat Falls exploite l’énergie du fleuve Churchill, au Labrador, mais sur son cours inférieur — et il se trouve également sur le territoire traditionnel des Innus. Le mégaprojet a reçu le feu vert en décembre 2012 après beaucoup de tambour et trompette du gouvernement progressiste-conservateur de l’époque, en particulier du premier ministre Danny Williams, qui a quitté la vie politique à la fin de 2010.

Mais Muskrat Falls a été désastreux pour les finances publiques et le moral de la province. La facture s’élève maintenant à plus de 13 milliards $, un chiffre qu’Andrew Furey a décrit en 2021 comme «une chaîne autour de l’âme collective des Terre-Neuviens et Labradoriens».

M. Legault a déclaré qu’il voulait un accord «gagnant-gagnant» pour le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador — il a même suggéré de payer davantage pour l’électricité terre-neuvienne avant la fin de l’accord en 2041.

Mme Frampton soutient que le premier ministre du Québec doit savoir que les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador ont encore sur le cœur les deux projets.

«Il doit savoir qu’au départ, nous serons méfiants, et pour une bonne raison, a-t-elle déclaré. Il doit s’attendre à ce que nous posions des questions difficiles. Et j’espère bien que notre gouvernement le fera, en notre nom.»

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