MONTRÉAL — Le «Père de l’assurance-maladie» et l’un des cerveaux derrière la Révolution tranquille n’est plus.
Claude Castonguay s’est éteint à l’âge de 91 ans, ont rapporté divers médias, samedi.
Il aura été avec les Jacques Parizeau, Michel Bélanger et Claude Morin l’un des principaux artisans de la Révolution tranquille. Dans ses mémoires intitulés «Mémoire d’un révolutionnaire tranquille», il se dit «intimement convaincu que les assurances sociales constituaient un élément essentiel dans toute société orientée vers un développement économique et humain équilibré».
Il joue notamment un rôle important dans la création du Régime des rentes et de la Caisse de dépôt avant de présider un petit comité qui devait rassembler les éléments pour permettre au gouvernement québécois d’adopter un programme d’assurance-santé plus important que l’assurance-hospitalisation qui existait déjà.
La défaite de Jean Lesage en juin 1966 n’envoie pas Claude Castonguay dans les oubliettes de l’histoire. Dès son arrivée au pouvoir, Daniel Johnson lui demande de poursuivre son travail de conseiller auprès du gouvernement et, la même année, lui confie la présidence d’une commission d’enquête sur la santé et le bien-être social.
Malgré son désir de réformes, il refuse de faire table rase du passé, comme l’avait fait la commission Parent, en éducation. Au moment d’écrire ses mémoires, il dira qu’il eut été «préférable de conserver, d’adapter et d’améliorer les collèges classiques et les écoles techniques plutôt que de les remplacer (…) par les cégeps et les écoles polyvalentes». Dès un premier rapport, la commission prône l’établissement d’un régime universel d’assurance-santé. Mais l’idée plaît peu à Daniel Johnson et à son successeur Jean-Jacques Bertrand, qui l’oublient sur les tablettes.
Recruté par Robert Bourassa pour être candidat libéral aux élections d’avril 1970 dans la circonscription de Louis-Hébert, à Québec, il y verra une «occasion inespérée, écrira-t-il, de mettre en application les rapports de la commission dans laquelle (il) s’était tellement investi».
Une fois élu, Claude Castonguay est nommé ministre de la Santé et des Services sociaux. Dès juin, il fait adopter la loi sur l’assurance-maladie mais les négociations avec les médecins n’ont pas été faciles, a-t-il reconnu dans l’émission «Mémoire d’un député» en 1997. Une de ses grandes fiertés sera d’avoir interdit la surfacturation des honoraires.
Dans le même souffle, il fera adopter la Loi sur les services de santé et les services sociaux qui permettra notamment la création des CLSC et des départements de santé communautaire.
Moins connu sera son rôle dans l’adoption du Code des professions, une réforme qu’il juge «nécessaire pour mieux protéger le public».
Toutefois, avant de se lancer en politique, l’homme avait promis à sa famille qu’il ne resterait que le temps d’un mandat. Et avant les élections d’octobre 1974, il annonce son départ même s’il avouera plus tard qu’il aurait préféré continuer encore quelques années. Et en 1976, Bourassa tentera de le recruter de nouveau. En vain. Claude Castonguay préféra demeurer dans le monde des affaires.
Après la démission de M. Bourassa, à la suite de sa cuisante défaite du 15 novembre 1976, M. Castonguay se montrera plus ou moins intéressé à se lancer dans la course à la succession. Il y renonça lorsque Claude Ryan décida de présenter sa candidature.
Heureux en affaires, Claude Castonguay entra chez La Laurentienne en 1976 où il jouera un rôle important dans la croissance de la mutuelle en Amérique du Nord et dans le monde, préparant notamment la fusion avec Les Prévoyants du Canada. Six ans après son entrée à la Laurentienne, il se voit confier l’entière direction de l’entreprise.
Selon lui, son meilleur coup demeure l’achat de la Banque d’épargne qui deviendra la Banque Laurentienne au milieu des années 1980. L’acquisition fut facilitée par l’adoption d’une loi québécoise qui permettait aux compagnies d’assurances de créer des holdings et l’arrivée au pouvoir des conservateurs à Ottawa qui clarifièrent les règles en matière de contrôle des banques.
Il siégea à d’autres conseils d’administration, notamment au Centre hospitalier de l’université Laval, à l’Université de Montréal et au Conference Board.
Après avoir décliné la co-présidence de la Commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec — qui deviendra la commission Bélanger-Campeau —, arguant qu’une telle commission ne devait être présidée que par une seule personne et non deux, il effectuera un retour à la vie politique partisane en devenant sénateur progressiste-conservateur en 1990. Il ne demeurera que deux ans au Sénat.
Mais il ne quitta pas la vie publique pour autant. En 1994, Jacques Parizeau lui confie la présidence d’un comité d’experts sur l’assurance-médication. Il présente des conférences publiques sur divers sujets. Et en 2008, reniant quelque peu ses principes d’autrefois, il préside un comité qui recommandera la fin de la gratuité de la santé.
Sur la question nationale, il oppose un certain nationalisme au fédéralisme centralisateur alors en vogue à Ottawa. Sa réputation de nationaliste était telle que, selon lui, Pierre Trudeau l’aurait tenu responsable de l’échec de la conférence de Victoria, en 1971. Selon lui, la volonté des libéraux fédéraux d’imposer un «tout ou rien» en a été la cause. Il dira en garder un souvenir «très amer», disant que Trudeau et les autres premiers ministres avaient fait preuve d’incompréhension à l’endroit du Québec.
Toutefois, après son entrée dans le monde des affaires, il mettra un peu de vin dans son nationalisme, s’opposant notamment à la loi 101, «un projet (qui) allait trop loin et aurait de graves répercussions sur notre développement économique», écrira-t-il dans ses mémoires.
Il vote «Non» au référendum de 1990, «Oui» à celui de 1992 sur l’accord de Charlottetown. Il garde toutefois un silence prudent sur son vote à celui de 1995, reconnaissant «qu’il lui aurait été impossible d’argumenter avec crédibilité en faveur d’un non à la souveraineté après avoir soutenu depuis tant d’années que des changements s’imposaient». Dans ses mémoires, il révéla aussi qu’il avait accepté de faire partie d’un comité d’orientation et de surveillance des négociations à mener avec le Canada si l’option souverainiste l’aurait emporté.
L’ancien ministre a été nommé officier de l’Ordre du Québec en 1991, puis grand officier en 2014.
M. Castonguay est demeuré actif pendant toute sa vie, participant aux débats qui l’intéressaient. Toutefois, sentant peut-être venir la fin, il avait adressé le 1er novembre ses adieux aux lecteurs qui suivaient ses chroniques sur le site Internet de La Presse.
«C’est en conséquence avec tristesse et avec un pincement de cœur que je dois cesser d’écrire et que j’exprime ma reconnaissance à tous ceux qui m’ont encouragé à poursuivre. Je les remercie de tout cœur», avait-il écrit.