QUÉBEC — Après trois mois de lutte acharnée menée contre le virus de la COVID-19, les finances du Québec sont à sec.
Le déficit atteindra un niveau historique en 2020-2021, frôlant les 15 milliards $ et réduisant du même coup à néant la réserve de stabilisation.
Par prudence, Québec anticipe une deuxième vague avant longtemps, et inclut déjà dans ses prévisions de déficit une provision de 4 milliards $, pour parer le coup.
C’est ce qui ressort du sombre portrait tracé vendredi par le ministre des Finances, Eric Girard, de l’état actuel des finances publiques du Québec.
Le document présenté, intitulé Portrait de la situation économique et financière 2020-2021, ne ressemble en rien à celui dessiné il y a à peine trois mois, le 10 mars, lors de la présentation de son budget 2020-2021, un budget de croissance juste avant que la crise éclate.
La situation financière du Québec ayant tellement changé, le ministre tenait à tracer un état des lieux, fait inhabituel à cette époque de l’année pour un ministre des Finances.
Le gouvernement n’a pas profité de cette mise à jour pour annoncer de nouvelles mesures, contrairement à ce que réclamait l’opposition officielle.
Au cours des dernières semaines, M. Girard avait prédit que le déficit annuel se situerait entre 12 et 15 milliards $. Ce sera finalement 14,9 milliards $.
Le document d’une centaine de pages rendu public vendredi contient en fait peu de données qui n’étaient pas déjà connues, pour l’essentiel.
Le ministre a donc confirmé que le gouvernement a dû injecter au cours des derniers mois 3,7 milliards $ dans le système de santé, en raison de la crise sanitaire, sans compter 1 milliard $ de mesures pour les travailleurs et 2 milliards $ destinés aux entreprises.
Pendant ce temps, dans les coffres de l’État, les revenus ont chuté de 8,5 milliards $. Par rapport à l’année précédente, on prévoit que les revenus vont chuter de 6,3 % en 2020-2021 dans les coffres du gouvernement.
Le ministre rappelle que la pandémie a mis entre parenthèses pendant des mois environ 40 % de l’économie du Québec, provoquant ainsi la perte temporaire de 820 500 emplois.
Le taux de chômage, qui était de 4,5 % en février, une performance proche du plein emploi, a grimpé en moins de deux à 17 %, en avril. En mai, il a cependant chuté à 13,7 %, et cette tendance à la baisse devrait se poursuivre «tranquillement» dans les prochains mois.
Tous les secteurs de l’économie subissent présentement un recul, une situation qui n’est pas sans créer «beaucoup d’incertitude», a convenu le ministre des Finances, en conférence de presse.
Le secteur privé a été «extrêmement affecté» par la crise sanitaire, a-t-il noté, alors qu’on observe une chute de la consommation de 8 %, doublée d’une chute des investissements privés de l’ordre de 15 %.
D’où l’importance, selon lui, pour le gouvernement de se substituer à court terme au secteur privé, pour stimuler l’économie, notamment grâce à la mise à niveau des infrastructures.
Québec s’attend cette année à une contraction du PIB réel de 6,5 %, alors qu’en mars, le ministre Girard misait sur une croissance économique optimiste de 2 %.
De Beaupré où il tenait un point de presse, le premier ministre François Legault a affirmé qu’il croyait réaliste de retrouver le niveau de production de décembre 2019 d’ici la fin de 2021.
«Par contre, évidemment à cause du décalage entre les revenus et les dépenses, on pense que ça va nous prendre cinq ans pour atteindre de nouveau l’équilibre budgétaire», a-t-il dit.
Pendant ce temps, le poids de la dette du Québec continue de s’alourdir. Le ratio de sa dette brute sur le PIB passera de 43,4 % en 2020 à 50,4 % en 2021, en hausse substantielle de 22,9 milliards $. Elle atteindra l’an prochain près de 222 milliards $.
Québec songe à revoir la loi sur la réduction de la dette, en vue de réviser les cibles fixées au cours des cinq prochaines années.
Malgré l’état désastreux des finances publiques, le ministre Girard estime que le retour à l’équilibre budgétaire d’ici cinq ans est un objectif réaliste du fait que «la baisse des revenus (enregistrée au cours des derniers mois) est temporaire et la majorité de la hausse des dépenses est discrétionnaire», donc non récurrente, a expliqué le ministre. Le fait d’avoir engendré des surplus les cinq dernières années va aussi aider, selon ses prédictions.
Et pas question pour autant d’adopter d’ici là des mesures d’austérité, de sabrer dans les services aux citoyens ou de hausser le fardeau fiscal des contribuables ou des entreprises, a-t-il tenu à spécifier, ajoutant que les finances publiques du Québec, globalement, demeuraient «extrêmement solides» grâce à son historique récent.
Ce sera «ni un ni l’autre», a renchéri M. Legault. «Il n’est pas question de réduire les dépenses; il n’est pas question d’augmenter les impôts», a-t-il dit.
À propos d’une éventuelle deuxième vague de pandémie, il s’est montré rassurant, affirmant que le Québec s’était donné la capacité d’affronter cette redoutée deuxième vague qui pourrait survenir à l’automne.
Notamment, on ne devrait pas connaître cette fois de pénurie d’équipement de protection (masques, blouses et gants) destiné au personnel de la santé, promet-on.
«Les stocks et les commandes d’équipements de protection sont suffisants pour couvrir l’essentiel des besoins pour 2020, et le gouvernement s’assurera de maintenir ces stocks élevés», peut-on lire dans le document. Au printemps, le Québec était à quelques jours de subir une pénurie d’équipement de protection.