MONTRÉAL — Le nouveau coronavirus (2019-nCoV) qui circule en Asie a maintenant fait 26 morts et près d’un millier de malades. Deux cas ont été confirmés aux États-Unis. Au Québec, tous les cas sous observation se sont avérés négatifs.
Les responsables ne sonnent pas l’alarme pour le moment, puisqu’il y a nettement plus de choses qu’on ne sait pas au sujet de ce virus que de choses que l’on sait.
La Presse canadienne a posé cinq questions à cinq experts.
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À quel point la situation actuelle est-elle préoccupante?
Docteure Caroline Quach-Thanh, responsable de l’unité de prévention et contrôle des infections au CHU Sainte-Justine:
«Comme avec tout nouveau virus dont on découvre les propriétés au fur et à mesure qu’il se transmet, c’est toujours préoccupant parce que la sévérité de l’infection est encore inconnue, le nombre de cas réels est encore inconnu… À tout le moins on sait à quel virus on a à faire, on sait qu’on est capables de prévenir la transmission, à tout le moins dans les hôpitaux si on met bien en place les mesures de prévention des infections, mais il faut quand même garder l’oeil bien ouvert et ne pas s’asseoir sur nos lauriers.»
Pierre Talbot, spécialiste des coronavirus à l’Institut national de la recherche scientifique:
«La situation actuelle me semble une répétition de l’épidémie du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) de 2002-2003, causée alors aussi par un coronavirus, un des agents causals du simple rhume.»
Gary Kobinger, du département de microbiologie-infectiologie et d’immunologie de la faculté de médecine de l’Université Laval:
«Elle l’est déjà, préoccupante, mais pas nécessaire inquiétante. C’est un virus qui cause pour la plus grande partie des symptômes légers à modérés. Rarement sérieux. Il faut être prêt pour des présentations sérieuses et pour beaucoup des cas si jamais cela venait.»
Donald Cuong Vinh, du département de microbiologie et d’immunologie de l’université McGill:
«En Chine, c’est quand même important, c’est une crise locale. Mais au Canada, le risque présentement est faible, mais ça peut toujours changer. Il faut être vigilants, mais pas nécessairement hystériques. (…) N’oublions pas que nous sommes en plein milieu de l’hiver! Il y a déjà plein de virus qui circulent et potentiellement plus dangereux que ce coronavirus. La grippe, par exemple, ou le virus respiratoire syncytial (VRS), (…) sont abondamment présents, ils circulent, les gens peuvent devenir très malades, et les taux de mortalité avec ces virus, surtout celui de la grippe, ne sont pas négligeables. Les mesures qui sont en place pour protéger contre ces virus (…) sont les mêmes mesures que celles dont on a besoin pour ce coronavirus. On n’a pas besoin de faire plus. Il faut seulement être vigilants.»
Raymond Tellier, microbiologiste au Centre universitaire de santé McGill:
«Ça demande certainement la plus grande vigilance parce qu’il s’agit d’un événement de virus émergent dont on ne connaît pas encore les propriétés, et tant et aussi longtemps qu’on ne saura pas exactement à quoi on a affaire, il faut être très vigilants. Ça ressemble énormément à ce qui est arrivé avec le SRAS. (…) Comme c’est un virus émergent, il n’y a aucune immunité acquise dans la population, donc en principe ça peut se répandre rapidement. Le virus a maintenant une capacité de se transmettre de personne à personne. Ce qu’on ne sait pas, c’est à quel point les malades sont contagieux. Si on se réfère à l’exemple du SRAS, le SRAS était difficile à gérer parce que bien que la contagiosité moyenne était relativement faible, il y avait une très grande hétérogénéité chez les patients. Alors certains patients étaient peu ou pas contagieux, et d’autres au contraire étaient super contagieux (…) qui historiquement ont infecté 15 à 20 personnes. Et on n’a toujours pas de bonne façon de savoir si un patient infecté est super contagieux ou pas, alors on doit tous les traiter comme s’ils étaient super contagieux. Alors ça rend les événements à suivre un petit peu imprévisibles.»
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Que pensez-vous de la gestion de la situation jusqu’à présent?
Docteure Quach-Thanh:
«Je pense que les gens de façon générale ont été très proactifs, ont été plus prudents que moins. J’ai trouvé fascinant de voir que le virus ait été séquencé aussi rapidement. Là où c’est un peu difficile, c’est de connaître vraiment le nombre de cas dont on parle et d’apprendre au fur et à mesure où on pensait qu’il n’y avait pas de transmission dans les hôpitaux, d’apprendre soudainement qu’il y a plusieurs travailleurs de la santé dans les hôpitaux qui ont été infectés… Donc on a besoin d’une transparence dans la gestion de l’éclosion et de l’épidémie pour qu’on puisse réagir à distance et prendre les meilleures mesures possible.»
M. Talbot:
«La gestion de la situation jusqu’à présent me semble à la mesure de la menace de transmission du 2019-nCoV de personne à personne et de pays à pays; à cet effet, je me dois de souligner la proaction et la collaboration apparemment transparente des autorités sanitaires chinoises, ce qui a été tout le contraire dans le cas du SRAS. Il faut démontrer que nous avons appris du SRAS.»
M. Kobinger:
«C’est difficile de dire, pourrait être mieux et pire. Les chiffres/données changent très vite, plus vite que le virus peut se propager donc il y a présentement beaucoup de nouveaux cas identifiés (qui existaient déjà). Tant que l’ajustement (et donc rapide augmentation) ne dure que quelques jours, c’est bon. Si ça double chaque 24 heures pour 20 jours ça va être difficile.»
M. Vinh:
«La Chine semble avoir appris des leçons du SRAS en 2002, qu’on doit être vigilant face à de nouvelles infections respiratoires, dans ce cas virales. Il semble que les autorités chinoises sont plus transparentes avec les données qu’elles accumulent et elles semblent aussi être capables de mobiliser les ressources pour faire de la recherche (sur le nouveau virus). (…) L’Organisation mondiale de la Santé a déclaré que ce n’est pas une urgence globale, mais (…) de notre point de vue, quand on s’occupe des patients localement (…) on ne veut pas que ça déborde, que ça devienne un problème global pour ensuite dire que c’est une urgence globale. La façon dont on voit souvent les choses dans les hôpitaux, c’est qu’on veut réagir, parfois surréagir, au début pour prévenir une éclosion, au lieu d’attendre pour voir si c’est une éclosion et après ça dire qu’on va mettre des mesures en place.»
M. Tellier:
«À maints égards ça a été très bien et c’est une amélioration notable par rapport au SRAS. Le virus a été détecté, semble-t-il, relativement tôt dans l’événement, alors que c’est encore à peu près complètement confiné en Chine, la séquence génétique a été complètement déterminée, on a déjà des tests génétiques qui ont été mis au point, et on sait à quoi on a affaire. (Quand la crise du SRAS a commencé), on ne savait même pas à quel type de microbe on avait affaire (…) et c’est seulement en cours de route qu’on a su un petit peu à quoi on avait affaire. D’autre part, on profite des leçons apprises pendant la crise du SRAS en termes de prévention des infections et de surveillance proactive. Je pense que la gestion a été de beaucoup supérieure à ce qu’on a vu avec le SRAS et on est en bien meilleure posture.»
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Quels conseils donneriez-vous à un voyageur qui doit se rendre dans cette région?
Docteure Quach-Thanh:
«Présentement je vous dirais que si les gens n’ont pas besoin d’aller dans la région de Wuhan, j’éviterais la région parce que l’épicentre a vraiment l’air d’être là. Maintenant, de toute évidence il y a eu de la transmission à l’extérieur de cette région-là, qui semble encore plutôt localisée, il ne semble pas encore y avoir de transmission locale soutenue, alors les précautions de base valent toujours, c’est-à-dire une bonne hygiène des mains, un nettoyage de l’environnement dans lequel on est (…) C’est sûr que le port du masque, si on va dans une région où il y a énormément de cas, peut diminuer la transmission parce que la transmission se fait principalement par gouttelettes, donc les gens qui toussent et le virus qui se dépose à nos voies respiratoires, donc le port du masque peut aussi être une bonne mesure de protection.»
M. Talbot:
«Je recommanderais à ce voyageur de ne se rendre dans cette région que si absolument nécessaire; dans ce dernier cas, il devra être vigilant et appliquer toutes les mesures disponibles de protection personnelle, notamment bien sûr un masque, que les Chinois utilisent beaucoup déjà pour se protéger de la pollution.»
M. Kobinger:
«Éviter la ville problématique si c’est possible (pas nécessaire de prendre des risques inutiles pour du tourisme), au moins jusqu’à ce que la situation soit mieux définie.»
M. Vinh:
«C’est sûr qu’on ne veut pas jouer avec le feu, donc si c’est un voyage qui peut être retardé à un autre point, lorsque les choses seront plus connues, peut-être que la crise est passée, c’est sûr que ce serait idéal. Si c’est absolument impossible d’éviter des voyages dans la région, les mesures qu’on utilise présentement pour se protéger contre les autres virus respiratoires devraient être adéquates.»
M. Tellier:
«Le conseil qui a été donné par les agences de santé publique aux États-Unis, c’est de ne pas y aller. Ça serait la seule façon d’avoir une certitude. Mais s’ils doivent vraiment y aller, il faut éviter les contacts avec le virus, ce qui est plus facile à dire qu’à faire, certainement éviter les marchés où ils vendent des animaux vivants, éviter les contacts avec les patients qui auraient cette maladie, ce qui est plus facile à dire qu’à faire surtout s’il y a des patients infectés qui sont asymptomatiques. (…) En principe, les masques respiratoires de type n95 seraient à recommander pour une protection respiratoire, mais ce n’est pas nécessairement confortable tous les jours. Les masques de type chirurgicaux produiraient une protection beaucoup moindre parce qu’on soupçonne qu’il y a probablement des événements de transmission par aérosol.»
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À quoi doit-on s’attendre au cours des prochains jours/prochaines semaines?
Docteure Quach-Thanh:
«Je pense qu’on va voir de plus en plus de cas émerger un peu partout, avec les voyages transatlantiques (…) c’est certain qu’il va y avoir un cas qui va arriver dans un pays qui n’avait pas encore été touché. Je pense aussi qu’avec la capacité que nos laboratoires de santé publique ont déjà de détecter le virus, on va se mettre effectivement à en détecter parce qu’on va se mettre à le chercher et ce que j’espère c’est qu’il n’y ait pas de transmission locale soutenue. Donc pour moi, le message le plus important c’est aux gens qui voyagent et qui reviennent et qui ont des symptômes respiratoires, d’essayer d’éviter les endroits fort populeux et s’ils ont à aller à l’urgence de déclarer rapidement (…) qu’ils ont été dans un pays où il y avait de la transmission du nouveau coronavirus pour qu’on puisse les mettre en isolement de façon adéquate.»
M. Talbot:
«Je m’attends à une propagation à un rythme soutenu de l’épidémie et à l’augmentation du taux de mortalité pour atteindre environ 10 pour cent, ce qui a été le cas pour le SRAS; la mise en place de mesures de surveillance et de mises en quarantaine des cas possibles devrait ralentir et éventuellement stopper la progression.»
M. Kobinger:
«Plus de cas détectés, plus de pays touchés, s’il commence a avoir de la propagation rapide dans d’autres pays alors nous allons être dans une situation où la capacité mondiale à contrôler un nouveau pathogène va être testée.»
M. Vinh:
«D’un point de vue médical, c’est sûr qu’on va voir de plus en plus (de patients), les gens vont avoir peur parce que les symptômes de ce coronavirus sont semblables aux autres symptômes viraux, c’est-à-dire comme la grippe et le VRS. Tous donnent les mêmes symptômes, donc tout le monde va s’inquiéter. On risque d’avoir quelque chose d’extrême où on essaie un petit peu de marginaliser certains gens, comme on a vu (…) avant avec le SRAS. Mais on ne veut pas (mettre en place) une culture où on dit qu’on va éviter les gens asiatiques qui toussent parce que ça va nous donner un virus. (…) Les gens vont avoir des infections virales, des rhumes et des grippes, et ça c’est normal. Il y a des taux déjà élevés, et ça n’a rien à voir avec le coronavirus. C’est certain qu’on va avoir un patient ou des patients confirmé(s) positif(s) pour cette nouvelle souche de coronavirus, mais il faut comprendre que les données qui sortent présentement, qui peuvent toujours changer, le taux de mortalité est inacceptable, mais faible, et les gens qui semblent surtout à risque sont les aînés, encore une fois comme les autres infections virales. Ça ne serait pas surprenant que le virus arrive ici, (…) mais les choses ne seront pas différentes de ce qui se passe déjà.»
M. Tellier:
«Un groupe de modélisation des maladies infectieuses au Royaume-Uni vient de produire un article de quatre pages pleines de mathématiques pour essayer de prévoir quelle est la situation actuelle, et avec très peu de prévisions. Je ne sais pas. De façon générale, un événement de virus émergent, avec un virus comme celui-là, il y a grosso modo trois ou quatre (possibilités). La première, c’est que ça va mourir très rapidement parce que le virus n’est pas capable de se transmettre à un taux suffisant pour maintenir l’infection ou pour déclencher une épidémie. La deuxième, c’est que ça déclenche une épidémie relativement petite, le virus n’est pas très contagieux et il y a moyen de le contrôler (…). Le troisième scénario, qui est toujours celui qu’on redoute le plus, c’est une pandémie à l’échelle mondiale (…) mais on n’a jamais vu ça avec un coronavirus, même un coronavirus aussi dangereux que le virus du cause le syndrome respiratoire du Moyen-Orient, qui est associé à une mortalité de 40 pour cent (…) le virus est resté confiné presque exclusivement en Arabie saoudite avec un petit peu de cas au Moyen-Orient. Il faut quand même être très humbles parce que c’est un virus dont on ne connaît pas les propriétés et c’est un peu difficile de prévoir avec grande certitude ce qui va se passer.»
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Quelles mesures recommanderiez-vous au ministre de la Santé du Canada?
Docteure Quach-Thanh:
«Ce n’est pas ma place de dire au ministre quoi faire, mais je pense que ce qui est très important c’est de réaliser à quel point les structures de santé publique qui sont en place à la fois par les laboratoires, par les directions de santé publique, l’Agence de santé publique du Canada sont des structures qui doivent avoir les moyens nécessaires pour être capables de gérer la situation, de sortir des recommandations rapidement pour que les différents hôpitaux aient une base sur laquelle s’appuyer pour mettre en place les différentes recommandations.»
M. Talbot:
«Je recommanderais en tout premier lieu de ne pas alimenter un sentiment de panique dans la population, en mettant l’emphase sur le fait que les coronavirus sont une famille de virus qui se propagent difficilement de personne à personne, en comparaison par exemple au virus de l’influenza causant la grippe, ce qui fait que l’épidémie actuelle pourra être contenue par des mesures de vigilance et de quarantaine, tout comme pour le SRAS.»
M. Kobinger:
«Ils savent déjà: plan de communication prêt, quarantaine prête au cas, diagnostic prêt, coordination des hôpitaux prête, prise en charge prête, etc. Je suis certain que c’est déjà prêt en tout cas.»
M. Vinh:
«Je pense qu’ils font déjà ce qu’ils sont capables de faire. La Chine doit être encouragée, être transparente et honnête avec ses données, ce qui semble être le cas. Le Canada et les provinces ont des processus déjà en place (…) pour faire le diagnostic aussi rapidement que possible. (…) Quand on a des éclosions comme celle-là, ou des éclosions potentielles, la seule façon qu’on sera capable de contrôler et de battre cette éclosion, et les autres éclosions dans le futur, c’est par la recherche. (…) Il faut comprendre comment ces virus sont sortis, comment ils infectent les humains et comment on peut les traiter. Si on peut répondre à ça, on peut développer des nouveaux traitements en cas que ça se reproduise.»
M. Tellier:
«Il n’est pas approprié pour moi de faire des recommandations. Le ministre a des ressources de consultation (…) et ce sont les meilleurs canaux. Je pense qu’on peut certainement réitérer les principes généraux de contrôle des infections et toute l’expérience qu’on a acquise avec le contrôle du SRAS.»
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Les propos des experts ont été condensés à des fins de clarté et de concision.