TORONTO — Même si sa décision n’a pas été prise au terme d’un procès complet, un juge a eu raison de conclure que placer des détenus en isolement cellulaire équivaut à une peine cruelle et inhabituelle en violation de leurs droits, a déclaré lundi le plus haut tribunal de l’Ontario.
En confirmant les jugements sommaires dans deux actions collectives distinctes, mais liées, la Cour d’appel a reconnu que le gouvernement fédéral avait longtemps ignoré les avertissements concernant les dangers d’un isolement prolongé et le manque de surveillance indépendante de ce genre de pratique.
L’un des cas, pour lequel Christopher Brazeau est le représentant des plaignants, concerne l’isolement cellulaire de prisonniers aux prises avec des problèmes de santé mentale.
Le représentant des demandeurs de l’autre action collective est Jullian Reddock, et concerne des prisonniers placés en isolement pendant au moins 15 jours consécutifs.
«Le Canada a choisi d’ignorer les recommandations répétées concernant une forme quelconque d’examen indépendant de l’isolement préventif», a déclaré la Cour d’appel. «Le Canada a également continué de placer les détenus souffrant de maladie mentale en isolement préventif, malgré les avertissements répétés concernant les torts causés par cette pratique.»
L’année dernière, le juge de la Cour supérieure de l’Ontario, Paul Perell, avait statué qu’il n’était pas nécessaire de faire des procès pour juger les deux demandes. Paul Perell s’était rangé du côté des détenus dans les deux cas. Dans l’action collective initiée par Julian Reddock, il avait également jugé le Canada coupable de «négligence systémique».
Le juge Perell avait ordonné a Ottawa de verser 20 millions de dollars en dommages pour chaque cas. Dans un cas, a-t-il mentionné, l’argent devrait aller aux détenus. Dans l’autre, il a estimé qu’il devrait servir à effectuer des «changements structurels» dans les prisons pour améliorer les conditions des détenus souffrant de troubles mentaux.
En appel, le gouvernement fédéral a soutenu que le juge Perell n’aurait dû statuer qu’après un procès. Le tribunal supérieur a rejeté cet argument, s’appuyant sur «de nombreuses preuves» selon lesquelles le gouvernement fédéral n’a pas tenu compte des avertissements répétés selon lesquels l’isolement, en particulier lorsqu’il est prolongé, peut avoir un impact psychologique dévastateur sur les détenus.
«En droit international, depuis au moins 30 ans, on reconnaît de plus en plus la nécessité d’éliminer le recours à l’isolement cellulaire pour les détenus souffrant de maladie mentale et de limiter strictement son utilisation en ce qui concerne les autres détenus», a noté la Cour d’appel. «La violation de la charte a causé de graves préjudices à des personnes très vulnérables et la conduite de l’État a été condamnée comme étant cruelle, excessive, odieuse et intolérable.»
Clore un sombre chapitre
Les autorités correctionnelles utilisaient l’isolement préventif en dernier recours pour protéger la sécurité d’un détenu ou d’autres détenus dans les prisons. Les tribunaux inférieurs de provinces comme l’Ontario et la Colombie-Britannique ont statué à maintes reprises que cette pratique violait la Charte canadienne des droits et libertés. Certaines de ces décisions sont actuellement devant la Cour suprême du Canada.
Les dossiers judiciaires montrent que de 2011 à 2019, les autorités pénitentiaires ont placé des détenus en isolement à 22 000 reprises, avec un séjour moyen de 59 jours — bien au-delà de la norme désormais internationalement acceptée d’un maximum de 15 jours.
Michael Rosenberg, l’un des avocats des plaignants, a déclaré que la décision indique clairement que le Canada est responsable d’une «violation épouvantable» des droits des détenus.
«Il s’agit d’une victoire importante pour un groupe de prisonniers qui ont subi de graves préjudices en isolement prolongé», a déclaré Michael Rosenberg. «Leurs souffrances étaient inutiles et cette action est un moyen de clore un sombre chapitre des services correctionnels canadiens.»
Le gouvernement a également contesté la décision de Paul Perell lorsqu’il a jugé le Canada coupable de «négligence systémique» ainsi que la décision d’ordonner au gouvernement d’effectuer des «changements structurels» dans les prisons pour améliorer les conditions des détenus. Pour ces deux décisions, la Cour d’appel est d’accord avec l’État.
Paul Perell, a déclaré le tribunal, a outrepassé son autorité en ordonnant au gouvernement de dépenser de l’argent pour des changements structurels dans les prisons. Il lui a ordonné de revoir cette décision.
«Cette ordonnance n’était équitable ni pour les membres du recours collectif ni pour le Canada et elle équivalait à une présomption injustifiable de contrôle judiciaire sur une institution publique complexe», a déclaré la Cour d’appel.
La Cour d’appel a également infirmé la conclusion de Paul Perell concernant la négligence systémique, mais elle a déclaré que cette décision n’avait aucune incidence sur les dommages-intérêts accordés pour violation de la Charte canadienne des droits et libertés.
En novembre, une nouvelle loi est entrée en vigueur en vertu de laquelle les autorités pénitentiaires ont commencé à mettre en œuvre un programme d’unités d’intervention dites structurées visant à atténuer les effets de l’isolement. Entre autres choses, les détenus isolés sont autorisés à sortir des cellules pendant quatre heures par jour et ont au moins deux heures de contact humain significatif. Les nouvelles règles permettent également un examen indépendant des cas d’isolement.
La Cour d’appel a ordonné au gouvernement de verser aux plaignants 75 000 $ pour couvrir leurs frais de justice.