COVID-19: Ottawa tente de convaincre Washington de ne pas militariser la frontière

Ottawa discute avec Washington pour convaincre l’administration Trump de ne pas envoyer des militaires à la frontière qui sépare les deux pays.

Le premier ministre Justin Trudeau a confirmé, jeudi matin, que cette perspective est envisagée par Donald Trump. Washington croirait ainsi protéger les États-Unis d’entrées illégales en terre américaine, et du même coup de la propagation de la maladie à COVID-19.

Ce raisonnement fait sursauter le gouvernement canadien.

«Le Canada et les États-Unis ont la frontière non militarisée la plus longue au monde et c’est dans l’intérêt des deux pays de la garder comme ça. Nous sommes en discussion avec les États-Unis sur cet enjeu», a déclaré M. Trudeau, qui continue à rencontrer la presse devant la porte de sa résidence même si les 14 jours d’isolement volontaire qu’il s’était imposés ont pris fin mercredi.

Quelques minutes plus tard, la vice-première ministre Chrystia Freeland a été plus loquace. Elle a cependant refusé de donner les détails de ce plus récent plan de Donald Trump arrivé aux oreilles du gouvernement canadien «il y a un jour ou deux».

«La position de notre gouvernement, (…) déjà exprimée directement à nos voisins américains, c’est que (…) cette idée d’envoyer des militaires à notre frontière, ce n’est pas nécessaire. La situation de la santé publique ne nécessite pas cette action. Et du côté canadien, nous pensons que ce ne sera pas approprié étant donné les très cordiales relations entre nos deux pays et étant donné l’alliance militaire qui existe entre nos deux pays», a fait valoir Mme Freeland lors de la conférence de presse qui a suivi la sortie quotidienne du premier ministre.

La vice-première ministre reconnaît que chaque pays souverain peut faire ce qu’il veut à l’intérieur de ses frontières, y compris y déployer des militaires. Mais si Washington en arrivait là, ce serait «dommageable pour notre relation».

Mme Freeland a tenu à rassurer les Canadiens; même s’ils déployaient leurs militaires à la frontière, les Américains n’auraient pas l’intention d’entraver le commerce ou la circulation des marchandises, selon elle.

«Ce n’est pas la raison pour laquelle le Canada a pris une position si forte dans nos conversations avec les Américains», a-t-elle insisté. Le Canada en serait arrivé là plutôt à cause de l’impact symbolique de pareil geste.

Ce dialogue tendu entre le Canada et les États-Unis se tient alors que c’est chez les Américains que le nombre de cas explose. Le CDC (Centre for disease control) rapportait jeudi midi dans sa mise à jour quotidienne 68 440 cas, dont 994 décès, aux États-Unis.

En fin de journée, sur le site worldometers, les États-Unis se sont retrouvés tout en haut de la liste, avec presque 82 000 cas, le chiffre le plus élevé au monde.

Les yeux des Québécois et des Ontariens sont particulièrement rivés vers la situation dans l’État de New York, état avec lequel les deux provinces partagent une frontière et où le CDC rapporte près de 33 000 cas.

Depuis la fermeture de la frontière canado-américaine aux déplacements non essentiels, le 21 mars, M. Trudeau et ses ministres disent qu’ils pourraient, éventuellement, resserrer les contrôles à la frontière, mais qu’il n’en est pas encore question.

C’était de nouveau le message de M. Trudeau, jeudi matin. «S’assurer d’un approvisionnement en nourriture, en fournitures médicales et en équipements nécessaires, venant de l’autre côté de la frontière, ça fait partie de la protection des Canadiens», a-t-il rappelé.

Pourquoi imposer la quarantaine

Le premier ministre a expliqué, jeudi matin, que c’est parce qu’un «certain nombre de personnes» ne suivaient pas la directive de l’isolement de 14 jours au retour d’un voyage que son gouvernement a décidé de se prévaloir de la Loi sur la mise en quarantaine.

«Ça fait des semaines qu’on le répète, mais certains ne semblent pas prendre nos recommandations au sérieux. C’est non seulement décevant, c’est dangereux», a déclaré M. Trudeau.

Depuis mercredi, toute personne qui arrive de l’étranger reçoit l’ordre de rester chez elle.

«Beaucoup de gens vont suivre ces instructions. Santé Canada va faire des suivis avec beaucoup de gens pour vérifier qu’ils sont effectivement en isolement. Et s’il y a des gens qui refusent de suivre, ben on a déjà vu plusieurs cas dans les nouvelles où des gens se sont fait arrêter», a prévenu M. Trudeau.

L’Agence de la santé publique du Canada est l’organisme qui a la responsabilité de faire appliquer la quarantaine.

Lors de la conférence de presse des ministres à laquelle participait Dre Theresa Tam, l’administratrice en chef de l’agence, on a expliqué que les autorités locales de santé publique auront la charge de surveiller les voyageurs mis en quarantaine chez eux. Les autorités fédérales se contenteront de quelques vérifications aléatoires.

Cependant les voyageurs qui présenteraient des symptômes graves à leur entrée au pays seront logés, par Ottawa, dans un lieu de quarantaine et ne pourront pas rentrer chez eux avant leur guérison. Déjà une poignée de voyageurs se sont retrouvés dans cette situation, a révélé Dre Tam, dont un couple intercepté à la frontière québécoise et qui ne pouvait rentrer chez lui parce qu’y vivait quelqu’un dont le système immunitaire est affaibli.

Nombre de cas

Le dernier bilan canadien est de 4043 cas confirmés ou soupçonnés. On a également compté 39 décès liés à la maladie à COVID-19.

Distribution des cas au pays, selon les derniers bilans provinciaux: 1629 au Québec, dont huit décès; 858 en Ontario, dont 15 décès; 725 en Colombie-Britannique, dont 14 décès; 486 en Alberta, dont deux décès; 95 en Saskatchewan; 82 à Terre-Neuve-et-Labrador; 73 en Nouvelle-Écosse; 36 au Manitoba; 33 au Nouveau-Brunswick; neuf à l’Île-du-Prince-Édouard; quatre dans deux des trois territoires. On n’a rapporté aucun cas au Nunavut.

Il faut ajouter à ces bilans les 13 cas chez les 228 passagers rapatriés du navire de croisière Grand Princess et tenus en quarantaine sur la base militaire de Trenton, en Ontario, du 10 au 24 mars. Les voyageurs guéris ou qui n’ont pas été malades sont rentrés chez eux mardi; les autres demeuraient en quarantaine.

Selon les dernières données épidémiologiques récoltées par l’Agence de la santé publique du Canada, 58 pour cent des transmissions du virus sont communautaires et 40 pour cent ont pour source un voyageur.

Jusqu’à ce jour, plus de 158 000 Canadiens se sont soumis à un test de COVID-19.

En faisant son bilan quotidien, Dre Tam a souligné que 6,1 pour cent des malades au Canada sont hospitalisés, 2,1 pour cent sont dans état jugé sévère. Le taux de mortalité au Canada est d’un pour cent, ce qui, selon elle, indique que le système des soins de santé «n’est pas surchargé en ce moment».

Trudeau encore chez lui

Le premier ministre continue à travailler de chez lui, même si 15 jours se sont écoulés depuis qu’il s’est placé en isolement volontaire parce que sa conjointe Sophie Grégoire Trudeau a contracté la COVID-19.

Mme Grégoire Trudeau est en quarantaine dans une pièce de la résidence de la famille Trudeau.

Mercredi, le premier ministre a dit que ni lui ni ses trois enfants n’ont de symptômes. «Nous continuons de suivre toutes les recommandations des experts en santé», a-t-il affirmé sans expliquer pourquoi son isolement devait continuer plus des 14 jours recommandés à tous par les autorités de santé publique.

Jeudi, son bureau n’a pas offert plus de renseignements.