OTTAWA — Un juge fédéral a invalidé la fameuse Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs, mais a donné à Ottawa six mois de répit pour répondre à cette décision historique.
Dans une décision très attendue, rendue mercredi, la juge Ann Marie McDonald de la Cour fédérale conclut que des dispositions de la loi qui sous-tend cette entente bilatérale violent la Charte canadienne des droits et libertés.
En vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs, en vigueur depuis 2004, le Canada et les États-Unis se reconnaissent mutuellement comme des endroits sûrs où trouver asile. Cela signifie que le Canada peut renvoyer aux États-Unis les réfugiés potentiels qui se présentent aux points d’entrée terrestres, parce qu’ils doivent faire valoir leurs droits où ils sont arrivés en premier.
Les réfugiés potentiels arrivant des États-Unis par voie aérienne, maritime ou entre des points d’entrée terrestres peuvent voir leur demande renvoyée aux autorités canadiennes. Cette exception a entraîné l’arrivée de milliers de personnes au Canada par des passages frontaliers non officiels au cours des dernières années.
Les défenseurs des réfugiés au Canada combattent vigoureusement cette entente, en plaidant que les États-Unis ne représentent pas toujours un pays sûr pour ceux qui fuient la persécution.
La juge McDonald a suspendu sa décision pendant six mois, laissant au gouvernement fédéral jusqu’à la mi-janvier pour y répondre.
Le ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, a déclaré qu’il était heureux de disposer de temps pour examiner le jugement et de «déterminer les prochaines étapes».
M. Blair a déclaré qu’il n’avait pas encore lu le jugement. Il a cependant nié que le Canada avait violé les droits des demandeurs du statut de réfugié, affirmant que le gouvernement avait toujours eu à l’esprit ses obligations internationales.
La détention comme punition
Plusieurs demandeurs d’asile avaient porté l’affaire devant les tribunaux, avec le Conseil canadien pour les réfugiés, le Conseil canadien des Églises et Amnistie internationale, qui ont pris part à la procédure en Cour fédérale. Ces demandeurs, ressortissants du Salvador, de l’Éthiopie et de la Syrie, étaient arrivés à un port d’entrée terrestre canadien en provenance des États-Unis et avaient demandé l’asile.
Les demandeurs du statut de réfugié ont soutenu devant le tribunal qu’en renvoyant aux États-Unis les demandeurs inadmissibles, le Canada les exposait à des risques, sous la forme de détention et d’autres violations de leurs droits fondamentaux.
Dans sa décision, la juge McDonald a conclu qu’à cause de l’Entente sur les tiers pays sûrs, des demandeurs inadmissibles sont emprisonnés par les autorités américaines. «La preuve démontre clairement que ceux qui sont renvoyés aux États-Unis par des fonctionnaires canadiens sont ensuite détenus, à titre de sanction», a estimé la juge.
Or, la détention et les conséquences qui en découlent sont incompatibles avec l’esprit et les objectifs de l’Entente et constituent une violation des droits fondamentaux garantis par l’article 7 de la Charte, a-t-elle estimé. L’article 7 stipule que «chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne».
«Pas une journée de plus»
Les intervenants dans la cause demandent au gouvernement fédéral de ne pas faire appel de la décision du tribunal et de cesser immédiatement de renvoyer des demandeurs d’asile aux États-Unis, sans attendre les six mois de grâce.
«L’Entente sur les tiers pays sûrs est la source de graves violations des droits de la personne depuis de nombreuses années, confirmées sans équivoque dans cette décision, a soutenu Alex Neve, secrétaire général d’Amnistie internationale Canada. Cela ne peut pas être autorisé une journée de plus.»
Dorota Blumczynska, présidente du Conseil canadien pour les réfugiés, a estimé que la Cour fédérale «n’avait pu s’empêcher d’être émue par les témoignages effroyables de personnes dans le système de détention de l’immigration américaine, lorsque le Canada leur ferme la porte».
«Leurs expériences nous montrent — et ont convaincu la Cour — que les États-Unis ne peuvent pas être considérés comme un pays sûr pour les réfugiés.»
Le ministre Blair a rejeté l’idée que ce jugement offre une nouvelle occasion de persuader les États-Unis de remédier aux problèmes liés à l’accord bilatéral.
Il a déclaré que l’ambassadeur du Canada à Washington et lui-même discutaient depuis longtemps avec les États-Unis des réfugiés. «De toute évidence, la décision du tribunal a fixé des délais, mais du travail est en cours depuis un certain temps et se poursuivra.»
Le député conservateur Peter Kent, porte-parole du parti en matière d’immigration, a demandé au gouvernement d’interjeter appel de la décision, soulignant que les conservateurs avaient poussé les libéraux à «corriger les lacunes de longue date» de l’accord.
La porte-parole du NPD en matière d’immigration, Jenny Kwan, a pour sa part soutenu que la décision du tribunal sauverait sans aucun doute des vies. Elle a exhorté le gouvernement à accepter la décision et à aviser les États-Unis du retrait immédiat du Canada de l’accord.