Déraciner sa famille pour soigner des Québécois à 9000 kilomètres de chez soi

SALABERRY-DE-VALLEYFIELD, Qc — Selon les plus récentes données du tableau de bord du ministère de la Santé, il manque plus de 4500 infirmières techniciennes et cliniciennes dans le réseau. Pour combler une partie de ce manque de main-d’œuvre, Québec compte sur le recrutement à travers la francophonie internationale. Jusqu’ici plus d’un millier de candidats ont fait le choix de déraciner leur famille pour venir soigner les Québécois.

L’opération de reconnaissance des compétences, lancée en février 2022, a toutes les allures d’un succès alors que l’on a dépassé l’objectif de recruter 1000 infirmières avant même la fin de la première année. Parmi les candidats sélectionnés, Emelda Tabot et Étienne Ndzana ont fait le choix de quitter le Cameroun pour s’installer à Salaberry-de-Valleyfield, en Montérégie.

«J’ai toujours soif d’apprentissages et je voulais découvrir comment ça fonctionne ailleurs» dans les réseaux de santé, répond simplement Mme Tabot pour expliquer son désir de s’installer avec ses cinq enfants à plus de 9000 kilomètres de sa ville de Buea. Son conjoint est malheureusement resté derrière en raison d’un contrat de travail qui le retient.

Comptant 17 ans d’expérience en gérontologie, la dame de 42 ans espère pouvoir poursuivre sa carrière auprès des aînés dès la fin de son programme de mise à niveau. En fait, elle a déjà droit à un avant-goût de ce qui l’attend en occupant un emploi de préposée aux bénéficiaires le week-end au Centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) Docteur-Aimé-Leduc, à Salaberry-de-Valleyfield.

«On dit qu’une personne âgée qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. Avec eux, je ne vois pas le temps passer. Une personne âgée qui vous tient la main, c’est comme vous passer une bénédiction», décrit l’étudiante rencontrée lors d’une visite de La Presse Canadienne dans les locaux du programme de soins infirmiers au Cégep de Valleyfield.

Son compatriote Étienne Ndzana a lui aussi quitté le continent africain avec ses cinq enfants. À Yaoundé, il travaillait en bloc opératoire depuis l’obtention de son diplôme en 2014. «Ce qui me passionne en chirurgie, c’est que les malades sont des gens dont le pronostic vital est très engagé. On a envie de sauver leur vie. On sait qu’en posant un geste, on peut les faire revenir à la vie», partage-t-il avec un enthousiasme contagieux. 

Lui aussi espère reprendre sa carrière dans la même spécialisation une fois sa mise à niveau réussie. «Quand on revoit la personne marcher, venir vers vous et vous dire merci, ça donne beaucoup de joie au cœur», ajoute l’homme de 41 ans.

Une année chargée

La première cohorte du programme d’attestation d’études collégiales (AEC) en soins infirmiers pour les nouveaux arrivants à Valleyfield compte 19 étudiants arrivés en janvier dernier. Une deuxième cohorte est attendue en avril. Au cours de ce programme intensif étalé sur un an, les étudiants ne chôment pas.

Enseignements théoriques, exercices en laboratoire et stages composent le menu de leur année de mise à niveau. Puis, à la fin de ce parcours, ils doivent suivre des formations particulières prescrites pas l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) selon leur niveau de compétence. Finalement, ils doivent décrocher leur droit de pratique en réussissant l’examen d’admission à la profession comme toutes les infirmières de la province.

«La moyenne a sept ans et plus d’expérience. Ce sont des gens qui ont la motivation et l’intérêt d’apprendre. Le but est toujours de s’améliorer, mais le groupe est très bon», mentionne l’enseignante Tatiana Lévesque qui vit elle aussi une période d’adaptation face à ces étudiants très compétents.

«Je parle à des collègues de travail qui vont être sur le terrain dans un an, même pas. Il faut adapter le niveau du cours pour leur en donner davantage. Ce sont des gens qui ont déjà un métier», ajoute-t-elle en louant l’enthousiasme et la motivation de son groupe.

Sa tâche consiste surtout à leur faire découvrir les particularités de la pratique infirmière dans les établissements du Québec. Elle parle de certaines différences dans les techniques de soin, dans les équipements utilisés, ou encore dans la manière de consigner les notes au dossier des patients ou de consulter le plan de soins.

«La science étant universelle, ce sont toujours des êtres humains que l’on traite, alors pour nous il n’y a pas de grandes différences, confirme M. Ndzana. Il faut s’adapter à la pratique des soins ici. Comment on appelle les choses ici», note-t-il.

C’est aussi le constat que fait Mme Lévesque dans sa relation avec ses étudiants. «Il y a plein de spécificités, de documents. La terminologie aussi. Ils savent parfaitement de quoi je parle, mais les termes sont différents», affirme celle qui a l’habitude d’enseigner son métier à des adolescents qui arrivent du secondaire.

Là pour rester?

Le programme de recrutement à l’international poursuit deux objectifs. D’abord attirer de la main-d’œuvre compétente, mais aussi renflouer les effectifs dans les régions du Québec. Pour arriver à cette fin, les candidats sélectionnés passent des entrevues et sont embauchés par les CISSS et les CIUSSS avant même leur arrivée.

D’après les informations fournies par la directrice de la formation continue du Cégep de Valleyfield, Marie Barrette, le Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Ouest (CISSSMO) a passé 80 candidats en entrevue en janvier 2022. Du lot, 54 ont été retenus, puis 40 sont passés à travers le processus du test de connaissance de la langue française et d’évaluation des compétences par l’OIIQ.

Les heureux élus ont alors été pris en charge par leur communauté d’accueil et ont eu droit à un traitement qui a toutes les allures d’une véritable «grande séduction».

Au CISSSMO, on collabore avec trois organismes du territoire, Réseaux, le CRESO et ACT, en plus du cégep. Grâce à cette mobilisation, les étudiants arrivent dans un appartement meublé. On leur fournit des vêtements d’hiver, on les dirige vers diverses ressources communautaires et on leur offre même des billets de spectacle.

Si l’on se fie à la parole de M. Ndzana, les efforts déployés ont fait mouche. «Je crois que les gens de Valleyfield ont donné le meilleur d’eux-mêmes, résume-t-il avec un immense sourire. On est bien accueilli, les jeunes vont à l’école. On aime ça ici. Qu’est-ce qu’on peut vouloir de plus?»

De son côté, Mme Tabot espère que «l’accueil sera toujours aussi bon» et si c’est le cas, elle non plus n’a pas l’intention de repartir. «Tout est en place, nous sommes ici. On n’a pas encore vu de quoi a l’air Valleyfield en été, mais j’espère que ce sera beau ici et qu’on va rester», confie-t-elle.

Un espoir que partage sans doute aussi la ribambelle d’enfants ayant suivi leurs parents jusqu’au bout du monde et qui tente de s’enraciner dans un nouveau chez-soi sur une île au milieu du Saint-Laurent.

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