LOS ANGELES — Des premières notes mélodieuses de la chanson « Hallelujah », du Montréalais Leonard Cohen, à la conclusion symphonique que « You Can’t Always Get What You Want », des Rolling Stones, les événements de campagne de Donald Trump font appel à des chansons classiques dont les auteurs et leurs héritiers ne veulent rien savoir de lui.
L’histoire se répète presque sans fin : la campagne Trump utilise une chanson, l’artiste s’insurge et l’intime de cesser de la faire jouer.
Le rockeur canado-américain Neil Young, John Fogerty, Phil Collins, Panic! At The Disco et les successions de Leonard Cohen, de Tom Petty et de Prince ne sont que quelques-uns de ceux qui ont réagi.
Les campagnes électorales tentent de s’approprier des chansons populaires depuis plus de 100 ans. Les artistes résistent au moins depuis 1984, quand Bruce Springsteen a refusé que la campagne de réélection de Ronald Reagan utilise « Born in the U.S.A. »
Mais cette année le problème atteint des sommets sans précédent, témoignant du fossé gigantesque qui sépare, d’un côté, le président et ses partisans, et de l’autre, des musiciens majoritairement de gauche qui n’exigent pratiquement jamais la même chose des candidats démocrates.
« Je couvre le domaine de la musique depuis 20 ans, et je n’ai jamais vu une prise de position aussi marquée concernant les artistes qui ne veulent pas qu’un politicien utilise leurs chansons, a dit le journaliste Gil Kaufman, qui contribue au magazine Billboard. Le choix est évident pour plusieurs électeurs, mais aussi pour les musiciens. »
Rares sont ceux qui se sont opposés plus farouchement que Neil Young.
Le musicien aux opinions acérées, membre du Temple de la renommée du rock, ne s’est pas contenté d’une simple demande: il a intenté une poursuite concernant l’utilisation répétée de son oeuvre.
Il a écrit sur son site internet en juillet : « Imaginez comment on se sent d’entendre ‘Rockin’ in the Free World’ après que ce président ait parlé, comme si c’était son hymne. Je ne l’ai pas écrite pour ça. »
Ce sentiment d’avoir été recrutés par l’Équipe Trump alimente clairement la colère de plusieurs artistes.
« Leur musique est leur identité, a dit M. Kaufman. Il est important pour eux de ne pas donner l’impression qu’ils endossent tacitement Trump. »
La campagne ne s’en tire pas non plus quand elle utilise la musique d’artistes qui ne sont plus parmi nous.
Les avocats de la succession de M. Cohen se sont farouchement opposés à l’utilisation de « Hallelujah » lors des feux d’artifice qui ont clôturé la convention nationale républicaine en août, affirmant par voie de communiqué qu’il s’agissait d’une tentative de « politiser et d’exploiter » une chanson qu’ils avaient spécifiquement interdit aux républicains d’utiliser.
Les avocats de M. Cohen ont toutefois suggéré une chanson alternative, dont le titre pourrait être perçu comme une flèche décochée au président.
« S’ils (les républicains) avaient demandé « You Want it Darker », on aurait peut-être été d’accord », ont dit les avocats.
La veuve et les filles de Tom Petty, qui se disputent son héritage en cour, ont unanimement demandé en juin à M. Trump de cesser d’utiliser sa chanson « I Won’t Back Down ».
D’autres artistes sont plus confus que fâchés par l’utilisation de chansons dont le thème va exactement à l’encontre du message de M. Trump.
M. Fogerty dit avoir été mystifié par l’utilisation par M. Trump de son succès « Fortunate Son », lancé en 1969 avec Creedence Clearwater Revival, qui condamne les enfants privilégiés des hommes riches qui n’ont pas eu à aller se battre au Vietnam — ce qui ressemble à une dénonciation en règle de M. Trump.
« Je trouve étrange que le président ait choisi d’utiliser ma chanson pour ses événements politiques, quand dans les faits on dirait qu’il est probablement un « fortunate son » », a dit M. Fogerty dans une vidéo mise en ligne sur Facebook en septembre.
Il a un peu durci le ton après que la chanson ait été utilisée encore et encore.
« Il [Trump] utilise mes mots et ma voix pour transmettre un message que je n’endosse pas », a-t-il dit sur Twitter le 16 octobre, en plus d’annoncer une ordonnance de cessation et d’abstention.
Que les événements du président puissent aider à propager le coronavirus contribue possiblement au désir intense de certains artistes de protéger leur musique.
« Ce n’est pas bon pour l’image des artistes, si leur musique est associée à quelque chose de malsain », a dit M. Kaufman.
Légalement, les politiciens n’ont pas nécessairement besoin de la permission directe des artistes pour utiliser leurs chansons.
Les campagnes peuvent acheter des droits élargis auprès d’organisations comme BMI and ASCAP, ce qui leur donne un accès légal à des millions de chansons.
Les Rolling Stones n’en font toutefois pas partie. BMI dit avoir informé la campagne Trump qu’elle contreviendra à leur entente si elle ne cesse pas d’utiliser la chanson « You Can’t Always Get What You Want », qui est fréquemment entendue lors de ses événements.
Mais même si un contrat a été signé, les artistes peuvent quand même dire non. Il leur suffit souvent de simplement en faire la demande publiquement.
« Souvent ça prend seulement une ordonnance de cessation et d’abstention, a dit Heidy Vaquerano, une avocate de Los Angeles spécialisée en propriété intellectuelle. Ça suffit pour montrer que l’artiste n’est pas associé avec la campagne et qu’il n’a pas autorisé l’utilisation de sa musique. »
Les artistes peuvent aussi invoquer une loi fédérale qui protège leur propriété intellectuelle et interdit les endossements frauduleux.
La campagne Trump n’a pas répondu à une demande de commentaires.
Le président s’est récemment tourné vers un terrain un peu plus amical avec la chanson « Y.M.C.A. », le leader du groupe Village People, Victor Willis, ayant dit qu’il n’a pas l’impression qu’il endosse M. Trump quand elle joue.