OTTAWA — Les Canadiens sont divisés sur la nécessité d’augmenter ou non les budgets d’Ottawa en matière de développement international et la majorité estime qu’une grande partie du soutien envoyé profite à des politiciens corrompus, selon un sondage mené pour le compte d’Affaires mondiales Canada.
Pas moins de 56 % des répondants ont cette impression et 54 % croient qu’une part importante de l’aide ne parvient pas aux destinataires prévus.
Dans la même veine, 42 % des Canadiens croient que les dépenses du Canada en aide internationale sont inefficaces tandis que 29 % pensent le contraire.
Ainsi, 33 % croient que le budget en aide internationale du gouvernement fédéral devrait augmenter, une diminution de quatre points de pourcentage par rapport à 2022. En 2023, la même proportion de répondants (33 %) juge que les investissements devraient demeurer les mêmes, alors que 25 % sont d’avis que les sommes devraient être révisées à la baisse.
Les résultats du sondage récemment publiés s’inscrivent dans la continuité, estime François Audet, directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaire.
«Il y a eu des moments charnières qui ont quand même bousculé certains indicateurs», dit-il en entrevue avec La Presse Canadienne, rappelant que le mouvement «me too» de dénonciation de cas d’agression sexuelle a aussi touché des organisations du milieu du développement international.
«Il semble que ce sentiment-là soit resté pour une certaine partie de la population, (…) mais qu’il y a quand même un noyau dur qui a continué puis continue (…) de soutenir l’aide et de faire confiance à l’écosystème des organisations internationales», résume le professeur à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Les ratés en Haïti ont «marqué l’imaginaire»
Quant aux craintes des Canadiens que l’aide envoyée par le Canada finisse dans les poches de politiciens corrompus, M. Audet signale que le milieu du développement international n’est «pas plus propre» que les autres grandes industries.
Selon lui, des épisodes ont marqué, au fil du temps, «l’imaginaire». Il prend en exemple les ratés de projets d’aide à la reconstruction d’Haïti après le tremblement de terre de 2010.
«Après chaque crise que le mouvement de solidarité a vécue, il y a eu des resserrements administratifs, comptables, de bonne gestion, de transparence», ajoute l’expert.
Une porte-parole d’Affaires mondiales Canada a soutenu que le ministère procède à des vérifications des cas présumés de «fraude» et de «corruption» avec une équipe dédiée à ces dossiers.
«L’équipe fournit des services conseil en matière de gestion de fraude, mène des actions de sensibilisation et de renforcement de capacité en matière de prévention et de détection, gère les allégations et mène des enquêtes, au besoin», a précisé Geneviève Tremblay dans une déclaration écrite.
Elle a relevé que des audits de conformité sont aussi menés chaque année «sur un échantillon de projets sélectionnés à l’aide d’une approche axée sur le risque».
Quant à l’efficacité des projets, elle est mesurée sur une base individuelle par le Canada, a indiqué Mme Tremblay. La collaboration d’Ottawa avec des organisations partenaires est aussi évaluée par le Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement.
M. Audet croit que des améliorations pourraient être apportées par le Canada en matière d’aide internationale. Il affirme, par exemple, qu’un meilleur encadrement est à considérer puisqu’à l’heure actuelle, plusieurs peuvent créer des organisations non gouvernementales (ONG) sans vraiment avoir de connaissance en la matière.
«L’aide internationale, comme n’importe quelle grande industrie, c’est compliqué. Ça prend des professionnels qui connaissent ça, ça prend des liens, (…) des relations avec les partenaires du Sud qui sont intimes, de confiance», dit-il.
À son avis, la «reddition de comptes» passe notamment par la «coopération administrative entre les organisations locales et les organisations dites internationales ou canadiennes».
Par ailleurs, il relève qu’il est aujourd’hui question «de l’aide internationale qui doit être décolonisée» afin de donner plus de pouvoirs aux organisations locales.
«À moins de catastrophe majeure, il n’y a pas de raison pour laquelle la coopération internationale n’est pas gérée, opérée, décidée par les personnes qui sont sur place et ce transfert-là de notre compréhension de l’aide internationale semble encore aujourd’hui assez bancale quand je regarde le sondage parce que les organisations et l’aide nécessaire (ont) beaucoup plus évolué que ce que les Canadiens semblent croire», analyse le professeur de l’UQAM.
Le sondage a été mené auprès de 3059 Canadiens au cours de l’hiver dernier. Sa marge d’erreur est de plus ou moins 1,8 point de pourcentage, 19 fois sur 20.