Des manifestants renversent la statue de John A. Macdonald à Montréal

MONTRÉAL — Des manifestants ont déboulonné samedi la statue du premier premier ministre du Canada, John A. Macdonald, au centre-ville de Montréal, au terme d’une manifestation visant à demander la réduction du financement des services policiers et son définancement complet à long terme.

Des centaines de manifestants s’étaient rassemblés plus tôt à la place des Festivals. Ils ont amorcé leur marche vers 12 h 30 pour se diriger vers l’ouest, sur la rue Sherbrooke. Plusieurs scandaient «Black Lives Matter!», «Définançons la police!», mais aussi d’autres slogans plus agressifs à l’égard des policiers qui les escortaient.

Vers 14 h30, un groupe de manifestants s’est dirigé vers la Place du Canada. Ils ont déboulonné et décapité la statue de John A. Macdonald, que plusieurs militants considèrent comme le symbole d’un passé colonialiste et raciste.

Les policiers du SPVM sont ensuite intervenus pour disperser la foule. On ne signale aucune arrestation.

John A. Macdonald a joué un rôle important dans le système des pensionnats pour enfants autochtones. Il était aussi au pouvoir lorsque le chef de la rébellion métisse Louis Riel a été pendu, le 16 novembre 1885, à Regina.

Par le passé, ce monument a été souvent vandalisé. Des opposants l’ont gribouillé de graffitis ou l’ont éclaboussé de peinture.

En fin d’après-midi, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, avait déploré «fermement les actes de vandalisme qui ont eu lieu cet après-midi dans le centre-ville de Montréal».

«Je comprends et partage la motivation des citoyennes et citoyens qui veulent vivre dans une société plus juste et inclusive. Mais la discussion et les gestes qui s’imposent doivent se faire de façon pacifique, sans jamais avoir recours au vandalisme», a-t-elle déclaré sur Twitter.

Elle a ajouté que la Ville consultera ses experts en patrimoine pour voir si la statut pourra être conservée.

Le premier ministre François Legault a pour sa part appelé à la restauration de la statue sur Twitter.

«Il faut combattre le racisme, mais saccager des pans de notre histoire n’est pas la solution», a-t-il écrit en soirée.

«Quoique l’on puisse penser de John A. MacDonald, détruire un monument ainsi est inacceptable.»

Le nouveau chef conservateur, Erin O’Toole, a lui aussi condammé l’action commise par le groupe de manifestants. «Le Canada n’existerait pas sans Sir John A. Macdonald. Nous ne construirons pas un avenir meilleur en défigurant notre passé, a-t-il réagi. Il est temps pour les politiciens d’arrêter de se plier face aux activistes radicaux et de se tenir debout pour le Canada.»

Investir en santé mentale et dans les communautés

Les appels à retirer le financement des forces de police se sont multipliés aux États-Unis, mais aussi dans des villes canadiennes depuis la mort de George Floyd aux États-Unis en mai dernier.

L’arrestation violente d’un autre citoyen noir américain, Jacob Blake, abattu cette semaine de plusieurs balles dans le dos par des policiers à Kenosha, au Wisconsin, a également soulevé l’indignation de plusieurs personnes.

La Coalition pour la libération BIPOC (pour Black, Indigenous and People of Color), à l’origine de la manifestation, demande une réduction du budget réservé au Service de police de la Ville de Montréal de 50 %, à court terme, pour investir plutôt «dans les communautés noires et autochtones».

«Il faut définancer la police pour réinvestir dans la communauté, l’éducation, les logements et la santé mentale des communautés marginalisées. En réinvestissant dans ces domaines-là, les policiers n’auront plus à intervenir», selon Jessica Quijano, une porte-parole de la Coalition.

«Il n’y a aucune raison pour qu’un premier répondant armé intervienne dans une situation de crise de santé mentale», a ajouté celle qui est également intervenante dans un Foyer pour femmes autochtones de Montréal.

Abolir la police

La Coalition pour la libération BIPOC demande qu’il y ait des réductions annuelles dans le budget de la police, jusqu’à l’abolition complète du corps de police, qui selon elle, ne fait que perpétuer un système oppressif, patriartical et raciste.

Le groupe réclame «une réglementation communautaire alternative pour gérer les appels non violents».

Mme Quijano est d’avis que pour assurer la sécurité publique, il faut d’abord lutter contre la pauvreté. «Étape par étape, la société va constater que la majorité des crimes sont reliés à la pauvreté», a-t-elle dit.

C’est également ce que croit Joana, un manifestant de 32 ans, qui se présente comme un arabo-musulman.

«Les seules personnes qui m’ont créé des problèmes d’insécurité dans la vie, ce sont les policiers», a indiqué à La Presse Canadienne celui qui déclare avoir souvent été victime de profilage raciale.

Une manifestante d’origine africaine, Aurélie Legrand, a expliqué qu’elle sent que sa vie n’a pas de valeur aux yeux des policiers.

«En ce moment, je sens que je suis en dessous de toute le monde, je sens que ma vie ne représente rien pour le gouvernement, pour la police, pour le système. Alors je suis là pour mettre mon point dans les airs et dire « You know what? La vie des noirs compte ». Et cet argent-là qu’on va couper va aller à la communauté, c’est important de définancer la police.»

À Montréal, un rapport accablant déposé en octobre révélait que les femmes autochtones étaient 11 fois plus susceptibles d’être interrogées que les femmes blanches, et que les hommes noirs et arabes étaient entre quatre et cinq fois plus susceptibles d’être soumis à des interpellations policières. Le Service de police de la Ville de Montréal a présenté en juillet une nouvelle politique qui exige que les interpellations soient fondées « sur des faits observables ».

Réaction de la Fraternité des policiers

Dans un mémoire présenté à la Ville de Montréal la semaine dernière dans le cadre d’une consultation prébudgétaire, la Fraternité des policiers et policières de Montréal, qui représente les 4500 policiers du SPVM, s’est vivement opposée au définancement, affirmant que diminuer le budget de la police compromettra la sécurité du public.

« Restreindre le financement du SPVM laisserait davantage de place à la criminalité alors que les statistiques dénotent déjà 20 000 crimes annuels contre des personnes et 50 000 crimes contre les biens à Montréal», a indiqué dans un mémoire le président de la Fraternité, Yves Francoeur, ajoutant que « le nombre d’armes à feu saisies augmente» et que « la sécurité ne se bâtit pas à coups de slogans ».

Selon les policiers, «toute compression résulterait nécessairement en baisses d’effectifs, en fermetures de postes de quartier (PDQ) et par l’abandon de l’implantation des caméras personnelles sur environ 3000 patrouilleurs et patrouilleuses».

Des rassemblements contre le financement des forces policières se sont aussi déroulés à Toronto et à London, en Ontario.