SAINT-JEAN, T.-N.-L. — La directrice scientifique de l’Institut Ocean Frontier, Anya Waite, sert une sérieuse mise en garde aux autorités gouvernementales en matière de lutte aux changements climatiques. Elle prévient que des océans qui se réchauffent pourraient capter moins de carbone que par le passé, ce qui pourrait avoir un impact majeur sur les objectifs climatiques.
Anya Waite affirme que sans une meilleure connaissance de la manière dont les changements climatiques influencent la capacité des océans à absorber le carbone, les scientifiques risquent de mal calculer les réductions d’émissions de gaz à effet de serre (GES).
L’Institut Ocean Frontier est issu d’un partenariat de recherche entre l’Université Dalhousie en Nouvelle-Écosse, l’Université Memorial à Terre-Neuve-et-Labrador et l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard.
Lors d’un récent entretien, la scientifique a souligné que les océans absorbaient environ 40 % des émissions produites par les énergies fossiles et qu’à lui seul l’Atlantique Nord captait près du tiers de tout ce volume. L’océan Atlantique Nord serait ainsi le plus important puits de carbone de la planète.
Mais les changements climatiques entraînent le réchauffement de l’océan, ce qui perturbe ses courants marins et semble affecter sa capacité à emmagasiner le carbone.
La scientifique va même jusqu’à avancer que si les océans ne sont plus en mesure d’absorber le carbone, ils pourraient devenir eux-mêmes des émetteurs de GES.
La chercheuse Dariia Atamanchuk, qui collabore à l’institut depuis la Nouvelle-Écosse, observe que la grande capacité d’absorption de l’Atlantique Nord s’explique par son impressionnante profondeur, ses courants puissants et ses températures glaciales. L’eau froide capte plus de carbone et les eaux profondes peuvent l’emmagasiner pour des siècles, a-t-elle précisé.
«Le carbone est tiré vers le fond, à 2000 ou 3000 mètres, et il y reste», a décrit Mme Atamanchuk en entrevue lundi.
Les océans et l’atmosphère travaillent de concert pour maintenir l’équilibre dans la saturation en carbone, a poursuivi la chercheuse. Si l’air contient plus de gaz que l’océan, l’océan va absorber la différence. Et à mesure que la température des océans grimpe et que les courants ralentissent, le gaz pourrait prendre le chemin inverse.
D’ailleurs, les scientifiques ont toujours été bien au fait de cette possibilité, mais c’es grâce à une analyse des données des trois dernières décennies effectuée par l’institut que l’on a pu voir un portrait réel de l’évolution de la situation au fil du temps, du moins dans la mer du Labrador entre le Canada et le Groenland, a indiqué Mme Atamanchuk.
«Il y a une corrélation claire entre l’augmentation des émissions de carbone anthropiques dans l’atmosphère provenant des énergies fossiles en parallèle avec le volume de carbone stocké dans la mer du Labrador», assure-t-elle.
Anya Waite insiste donc sur l’importance de lancer davantage de recherches sur cet enjeu puisque les données font cruellement défaut. Elle était d’ailleurs présente à la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP26) à Glasgow afin de présenter une série d’ateliers sur cet enjeu.
Elle espère ainsi attirer l’attention des décideurs afin qu’une initiative internationale appelée l’Observatoire du carbone de l’Atlantique Nord obtienne un financement adéquat. Le projet permettrait d’unir des scientifiques de partout sur la planète afin de mieux surveiller l’évolution de la capacité d’absorption de l’océan.
À son avis, le Canada est très bien placé pour agir comme leader dans ce projet.
Dariia Atamanchuk martèle que des chercheuses comme elle doivent bénéficier de plus de temps en mer et avoir accès à des appareils sous-marins autonomes capables de résister aux conditions extrêmes pour récupérer les données nécessaires.
Son collègue Brad de Young, un océanographe de l’Université Memorial, renchérit en disant que le travail sur la côte est canadienne n’est qu’un début.
«En mesurant ce qui se passe dans l’Atlantique Nord, c’est une bonne base pour évaluer le portrait global, mais ce n’est pas tout», relativise-t-il.
L’observatoire proposé servirait de premier pas vers une véritable surveillance mondiale coordonnée et intégrée du carbone dans les océans. Un travail qui nécessiterait l’implication des chercheurs, des agences gouvernementales et d’organisations de partout sur la planète.