Détenus afghans: une lettre de policiers relance le débat sur l’enquête publique

OTTAWA – Une lettre ouverte de policiers militaires dénonçant de mauvais traitements sur des prisonniers «innocents» en Afghanistan relance le débat sur la nécessité d’une enquête publique.

Dans une lettre envoyée à La Presse, des membres de la police militaire qui ont servi en Afghanistan affirment que pas moins de la moitié des Afghans incarcérés au centre de détention de la base militaire de Kandahar étaient innocents.

Et contrairement à ce que le gouvernement canadien affirmait, ils n’étaient pas emprisonnés pour une période de 48 à 96 heures, mais restaient derrière les barreaux en moyenne deux mois.

La police militaire a par ailleurs tenu plusieurs «exercices» visant à terroriser les détenus, des actes révoltants et indignes d’un corps policier, selon les auteurs.

La lettre est anonyme, car ceux qui l’ont rédigée craignent des représailles. La Presse a rencontré l’un des policiers et a confirmé son identité, tout en préservant son anonymat.

«Près de 50 pour cent des personnes incarcérées par la police militaire n’étaient que des gens comme vous et moi, des époux, pères de famille, fermiers qui n’avaient strictement rien à se reprocher. Pourquoi et comment ce mépris de nos loi et nos valeurs canadiennes peuvent-ils survenir?», demandent les auteurs. Ils n’expliquent pas comment ils sont parvenus à établir cette proportion de prisonniers innocents.

Ils accusent par ailleurs l’état-major de la police militaire de ne pas collaborer à l’enquête que mène la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire, en lui refusant l’accès à des documents. Cette commission se penche actuellement sur des allégations de mauvais traitements des détenus par la police militaire en Afghanistan, en 2010 et 2011.

Les auteurs demandent au ministre de la Défense, Harjit Sajjan, d’ordonner aux hauts-gradés de la police militaire de collaborer pleinement à cette enquête.

Interrogé à sa sortie d’une réunion de cabinet mercredi, M. Sajjan a laissé entendre qu’il avait confiance au système de plaintes actuel. «Nous avons de très bons systèmes en place pour enquêter sur tous les types d’allégations», a-t-il assuré.

Il n’a pas semblé favorable à l’idée d’une commission d’enquête publique. «Toutes les allégations feront l’objet d’une enquête très sérieuse, a-t-il signalé. Nous avons une Commission de la police militaire — un organisme indépendant — qui étudie ces allégations, et nous allons prendre cela très au sérieux.»

Enquête publique

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Bloc québécois ont tous deux saisi l’occasion pour relancer le débat sur l’opportunité de faire la lumière sur le traitement des détenus afghans par les Forces canadiennes avec une commission d’enquête publique.

«C’est extrêmement troublant, parce que non seulement on parle de potentielles violations du droit criminel canadien, de potentielles violations du droit international, on parle également d’avoir volontairement caché la vérité aux autorités, aux Canadiens, a soutenu la néo-démocrate Hélène Laverdière. C’est pour ça qu’il faut une enquête publique indépendante.»

Le chef bloquiste intérimaire Rhéal Fortin est également de cet avis. «C’est clair qu’on ne peut pas supporter que les officiers nous rapportent des faits comme ceux-là, et tourner la page, fermer les yeux. Je pense que ce serait irresponsable», a-t-il plaidé.

La semaine dernière, une coalition de groupes de défense des droits de la personne a interpellé le premier ministre Justin Trudeau pour lui demander une enquête publique sur les détenus afghans transférés par les Forces canadiennes aux autorités locales.

Des allégations à l’effet que ces prisonniers auraient été maltraités ont émergé dès 2007. Le Parlement s’est penché sur la question, mais le gouvernement conservateur de l’époque s’est toujours opposé à la tenue d’une enquête publique.

Selon Mme Laverdière, l’enquête devrait couvrir la question du transfert de ces détenus aux autorités afghanes, celle du traitement que réservaient les Forces canadiennes elles-mêmes à ces détenus, ainsi qu’un volet sur «d’éventuelles manipulations sérieuses de l’information».

Elle rappelle que les libéraux, alors qu’ils étaient dans l’opposition, étaient en faveur d’une telle enquête et elle les enjoint à «mettre leurs culottes» maintenant qu’ils sont au pouvoir.

Le député conservateur et ex-ministre de la Défense Jason Kenney a pour sa part affirmé ne pas avoir été informé d’une telle situation à l’époque où il était lui-même ministre. Selon lui, les soldats canadiens «ont agi tout le temps d’une façon professionnelle».