MONTRÉAL — La Cour supérieure vient d’infirmer un important jugement qui avait étendu la portée des dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail au télétravail.
Le Tribunal administratif du travail avait en effet statué, en novembre 2021, qu’une employée du Groupe CRH Canada, qui exploite la cimenterie de Joliette, où sévissait alors un lock-out, s’était trouvée à contrevenir aux dispositions anti-briseurs de grève en faisant du télétravail. Il avait dans ce cas donné raison au syndicat Unifor, affilié à la FTQ.
Par cette décision, le juge administratif avait étendu la notion d’établissement au domicile de la travailleuse.
Cette notion de ce qu’est un établissement est au cœur de l’interprétation donnée aux dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail du Québec.
L’article du Code en question stipule en effet qu’il est interdit à un employeur, pendant la durée d’une grève ou d’un lock-out «d’utiliser, dans l’établissement où la grève ou le lock-out a été déclaré, les services d’un salarié qu’il emploie dans cet établissement pour remplir les fonctions d’un salarié faisant partie de l’unité de négociation en grève ou en lock-out».
Mais où s’arrêtent les limites de «l’établissement» lorsque les employés font du télétravail, comme c’était le cas durant la pandémie de la COVID-19?
L’employeur avait plaidé que l’établissement ne pouvait être que l’usine de Joliette, donc que les dispositions anti-briseurs de grève ne pouvaient s’appliquer au domicile de la travailleuse.
Unifor avait plaidé que dans une telle situation de télétravail, la résidence de la travailleuse devenait un prolongement de l’usine et que les dispositions anti-briseurs de grève devaient donc s’appliquer.
Le Tribunal administratif du travail (TAT) avait jugé qu’il fallait actualiser la notion d’établissement, faute de quoi les dispositions anti-briseurs de grève pourraient devenir sans objet.
Le Groupe CRH avait contesté cette décision devant la Cour supérieure. Et celle-ci vient effectivement d’infirmer la décision du TAT et d’accueillir le pourvoi en contrôle judiciaire.
«L’autonomie décisionnelle confiée par le législateur au TAT ne lui permet pas d’élargir comme il l’a fait la portée de l’article 109.1 g)» du Code du travail, a tranché le juge Louis-Paul Cullen.
«Une décision raisonnable doit être intrinsèquement cohérente et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti», a-t-il ajouté.
Le Tribunal administratif du travail avait lui-même témoigné devant la Cour supérieure, plaidant que «la question devant lui relevait de sa compétence exclusive et spécialisée» en matière de travail.
Contacté vendredi, le syndicat Unifor a fait savoir qu’il avait l’intention d’interjeter appel de la décision de la Cour supérieure.