ALMA, Qc — Les électeurs de Lac-Saint-Jean ont l’embarras du choix. Ils devront décider dans un peu plus d’une semaine qui sera leur nouveau député fédéral. Le départ de l’ex-ministre conservateur Denis Lebel en juin a laissé un vide que les autres principaux partis aspirent à combler. Il n’y a pas de «candidat-poteau» cette fois.
«C’est quatre bons candidats. Je suis bien embêté», constate Michel Frigon, un producteur laitier d’Albanel qui n’a toujours pas décidé à qui il allait donner son vote.
Pour lui, la protection du système de la gestion de l’offre dans son intégralité est primordiale.
«J’aurais aimé ça voir la conclusion de l’ALÉNA pour me positionner comme il faut sur ce que vaut l’équipe libérale, poursuit-il. Est-ce que c’est juste des paroles? Est-ce que c’est juste un écran de fumée ce qu’on voit là?»
Les libéraux espèrent faire une percée dans ce bastion conservateur où les rouges ont rarement été élus. Il faut remonter à 1980 pour trouver la dernière députée libérale fédérale, Suzanne Beauchamp-Niquet, dans cette circonscription maintes fois redécoupée depuis.
L’impact de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) sur les emplois dans la région préoccupe. L’industrie forestière a déjà écopé avec les droits compensatoires imposés en avril par l’administration américaine et attend toujours une nouvelle entente sur le bois d’oeuvre.
«Un bon député qui est capable de porter la voix de la classe moyenne, des familles ici, je pense que c’est ça que ça prend», affirme le candidat libéral Richard Hébert.
Il mise sur la notoriété qu’il a acquise durant ses quatre années à la mairie de Dolbeau-Mistassini pour convaincre les Jeannois. La couleur politique importe peu, selon lui.
«Les gens votaient pour Denis parce que Denis Lebel c’était un gars de la place et les gens le connaissaient», poursuit-il.
«Les gens connaissent mon franc-parler et aussi savent que Dolbeau-Mistassini a connu un bel essor depuis les quatre dernières années. En 2016, on a émis pour 30 millions $ de permis de construction. C’est plus qu’à Alma.»
Le premier ministre Justin Trudeau est attendu dans la région la semaine prochaine pour venir épauler son candidat. Ce sera sa deuxième visite en quelques mois.
La marijuana, un obstacle?
Justin Trudeau risque de devoir répondre à de nombreuses questions sur la légalisation de la marijuana qui suscite une vive opposition.
«Moi, ce qui me fait hésiter un peu, c’est la légalisation du pot. Je ne suis pas pour ça, pas une minute. C’est de mettre les jeunes dans le trouble», dit Yves Boudreault, un travailleur de la construction.
«Il y a d’autres choses à faire que de légaliser le pot. Je pense qu’il y a d’autres projets qui seraient plus intéressants que ça», souligne pour sa part Fabien Larouche, un électeur d’Alma.
Le candidat conservateur Rémy Leclerc, un ancien intervenant en toxicomanie, n’hésite pas à taper sur ce clou. Il promet même s’il est élu de faire reculer le gouvernement comme il a déjà reculé sur la réforme électorale.
«La marijuana, ce n’est pas de la colle, dit-il. (…) C’est sournois. La dépendance arrive rapidement. Les produits sont puissants et ce n’est pas ça qui va enrayer le crime organisé.»
Les conservateurs tiennent à garder cette circonscription qu’ils détiennent depuis dix ans et ainsi prouver que leur nouveau chef, encore peu connu, est capable de livrer la marchandise.
Andrew Scheer a passé les trois derniers jours au Lac-Saint-Jean pour faire campagne avec son candidat, qui a orchestré les quatre campagnes fédérales victorieuses de Denis Lebel. Il en est à sa troisième visite dans la région.
«Beaucoup de gens réalisent que les promesses des libéraux sont vides et les politiques nuisent aux gens qu’ils prétendent aider, a affirmé M. Scheer jeudi. Les gens ici cherchent à envoyer un message à Justin Trudeau.»
Il préconise une entente permanente sur le bois d’oeuvre.
Le NPD et le Bloc québécois à la conquête du Lac-Saint-Jean
Gisèle Dallaire, la candidate du Nouveau Parti démocratique (NPD), avait donné du fil à retordre aux conservateurs lors de l’élection générale de 2015. Elle avait alors obtenu l’appui des syndicats qui ne voulaient pas que le gouvernement Harper soit à nouveau porté au pouvoir. Environ 2600 votes la séparaient de Denis Lebel.
Mais cette fois, les paramètres sont différents. Le Bloc québécois a recruté Marc Maltais, un syndicaliste qui avait défendu les travailleurs lors du lock-out de l’usine Rio Tinto Alcan à Alma en 2012.
«Avec Marc, donne-lui un morceau de viande et il va mordre là-dedans!», s’est exclamé Régis Gagné, un travailleur du papier à la retraite.
Le Bloc québécois joue son avenir. Regagner la circonscription de Lac-Saint-Jean, le berceau du parti, lui donnerait un 11e député à la Chambre des communes. Il ne lui en manquerait ensuite qu’un seul pour obtenir le statut de parti officiel.
Le nouveau chef du NPD, Jagmeet Singh, croit toutefois pouvoir attirer une partie du vote souverainiste, lui qui accepterait un oui à un référendum. Il était lui aussi de passage au Lac-Saint-Jean mardi pour se présenter aux électeurs et épauler sa candidate.
«Je respecte le droit à l’autodétermination, complètement, sans faute, sans exception, a-t-il soutenu lors de son passage mardi. (…) Je suis d’accord avec cette idée, mais je veux proposer des politiques fédérales pour créer un climat qui encouragerait les gens à rester au Canada.»
Son turban a attiré les regards, mais il croit que les gens vont rapidement se rendre compte qu’il «partage les mêmes valeurs progressistes» qu’eux. Remporter Lac-Saint-Jean prouverait que ses signes religieux ne constituent pas un obstacle au Québec.
Tout comme le Bloc québécois, le NPD propose de protéger la gestion de l’offre et d’être le chien de garde des travailleurs face aux négociations de l’ALÉNA.
«Le gouvernement actuel n’a pas plus l’aval de la population, donc c’est une campagne quand même semblable (à 2015) pour moi, a affirmé Gisèle Dallaire en conférence de presse. Les gens ne veulent pas revenir aux conservateurs, ça ils s’en rappellent!»
Le député Alexandre Boulerice, bien connu des milieux syndicaux, est également venu lui prêter main-forte jeudi.
«Le NPD reste un parti hyper fédéraliste, hyper centralisateur», a rétorqué la chef du Bloc québécois, Martine Ouellet, lors d’une visite de deux jours dans la circonscription jeudi. Elle compte revenir la veille du vote.
«Le Bloc, c’est le parti des régions et on a une seule priorité, c’est le Québec», a rappelé Marc Maltais en conférence de presse mardi.
Ses pancartes ont été installées jeudi à moins de deux semaines du vote puisqu’il est le dernier à s’être porté candidat. Le scrutin dans Lac-Saint-Jean aura lieu le 23 octobre.