Fugues de jeunes filles: il faut s’attaquer à la source, selon des intervenants

MONTRÉAL — Même si l’on parle davantage des fugues des jeunes filles de nos jours dans les médias, les intervenants du milieu croient qu’il faut aller plus loin et s’attaquer à la source, en sensibilisant les familles, car personne n’est à l’abri d’une telle situation.

Depuis quelques années, les disparitions de jeunes filles se retrouvent presque de façon hebdomadaire dans les médias, et leurs photos circulent largement sur les réseaux sociaux. 

Si la médiatisation relativement nouvelle de cet enjeu aide à retrouver plus rapidement les fugueuses, elle n’aide pas à prévenir le problème, selon des spécialistes.

«Je ne suis pas certaine qu’il y a un effet de dissuasion, au sens où, cette médiatisation n’a pas nécessairement un impact sur le recrutement dans la prostitution, les facteurs d’entrée de la prostitution chez les jeunes femmes», a expliqué Éliane Legault-Roy, porte-parole de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES).

Pina Arcamone, directrice générale du Réseau Enfant-Retour — un organisme qui oeuvre depuis une trentaine d’années pour retrouver des enfants disparus — se réjouit de cette récente «prise de conscience» après des années de «banalisation».

Mais comme Mme Legault-Roy, elle ne croit pas que cela contribue à empêcher les jeunes de fuir leur lieu de résidence.

«La meilleure façon de prévenir les fugues, c’est de sensibiliser nos jeunes aux dangers des fugues, de les sensibiliser à ces prédateurs qui les attendent lorsqu’ils sont en fugue», a expliqué Mme Arcamone.

Selon les données d’Enfant-Retour, un fugueur sur trois devient victime d’exploitation sexuelle. L’organisme se base les quelque 500 dossiers de fugues sur lesquels il a travaillé depuis les six dernières années, chez les jeunes de 12 à 17 ans.

Personne n’est à l’abri

Les organismes croient aussi que les parents devraient être mieux informés sur le problème, car il n’existe pas de portrait-type de jeunes filles qui tombent dans le piège de l’exploitation sexuelle.

«Personne n’est à l’abri de se retrouver dans une situation où, soit on est en précarité économique, soit on est en amour, soit il est arrivé quelque chose dans notre vie et c’est là qu’on arrive», a soutenu Éliane Legault-Roy.

«À la CLES, on voit toutes sortes de femmes, qui sont entrées à l’âge adulte, des femmes scolarisées, il n’y a pas un visage de la prostitution.»

Mme Legault-Roy croit également que les médias devraient cesser de «glamouriser» la prostitution, notamment dans leurs séries télévisées.

«Il n’y a pas beaucoup de contre-discours qui viennent désamorcer ça», souligne-t-elle.

«Donc pour une jeune fille qui reçoit un message que c’est très glamour, que c’est une façon de faire de l’argent facilement, oui, c’est possible qu’elle pense que c’est une façon de recevoir une validation qu’elle ne reçoit pas ailleurs.»

Selon Pina Arcamone, plusieurs personnes ont encore une mauvaise compréhension de la fugue, et ont tendance à juger les enfants et les parents dans cette situation.

«Le fait de fuguer nous indique que le jeune fuit une situation dans laquelle il a de la difficulté à gérer. La fugue n’est pas synonyme de plaisir», a-t-elle souligné.

Et Mme Arcamone insiste elle aussi pour dire que la sensibilisation doit être faite auprès de tous les jeunes, peu importe leurs antécédents.

Enfant-Retour a récemment lancé le projet AIMER (l’acronyme d’Affirmation, Image de soi, Mettre ses limites, Égalité et Relations saines), qui vise à informer les jeunes du primaire sur l’exploitation sexuelle.

«Fugueuse», un bon exemple

Selon Éliane Legault-Roy, la série du réseau TVA «Fugueuse» présente bien la problématique en question, dans toutes ses dimensions. Dans la série, le personnage de Fanny, âgée de 16 ans, est une fille de bonne famille qui tombe sous les griffes d’un proxénète avec qui elle tombe en amour, Damien.

«De faire ça, de montrer qu’on peut venir d’un bon milieu, qu’on peut être aimée, soutenue, puis quand même tomber dans la prostitution, je pense que ça a été super bien fait», a-t-elle soutenu.

«Ça montre bien aussi le jeu, la manipulation, l’idylle au début et après ça l’enfer que la jeune fille vit.»

La Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle organise d’ailleurs lundi un événement pour visionner la finale de la série, qui sera commentée par une survivante de la prostitution, une intervenante du milieu et une organisatrice communautaire de la CLES.