OTTAWA — Ils sont assis dans la dernière rangée de la Chambre des communes, du côté de l’opposition. Un petit groupe de députés devenus indépendants dans la foulée du mouvement #moiaussi. Si certains élus ont été exclus de leur caucus en 2018, d’autres ont résisté aux allégations. Retour sur une année ponctuée par les dénonciations.
Un ministre démissionne
Des propos suggestifs ont eu raison du ministre Kent Hehr à qui l’on reprochait déjà son manque d’empathie. Celui-ci a démissionné de son poste à la tête du ministère des Sports et des Personnes handicapées le 25 janvier, après l’ouverture d’une enquête indépendante. Il aurait dit à Kristin Raworth une ancienne employée de l’Assemblée législative de l’Alberta, où il avait siégé durant sept ans, qu’il la trouvait «délicieuse» («You’re yummy») alors qu’elle était seule avec lui dans un ascenseur. Une autre personne s’est plainte qu’il l’avait touchée de façon inappropriée. L’enquête a été complétée près de six mois plus tard, mais n’a jamais été rendue publique. Dans une déclaration, M. Hehr a alors affirmé qu’il ne se souvenait pas d’avoir rencontré ou parlé à Mme Raworth à l’époque tout en reconnaissant qu’«il était clair selon le rapport qu’il l’avait mise mal à l’aise». Il lui a offert ses excuses. Quant à la deuxième plainte, il a déclaré que «tout contact» de sa part avait été «involontaire» puisqu’il ne s’en était pas rendu compte. Il a ajouté que son handicap — M. Hehr est tétraplégique — le privait de sensations dans ses mains et partiellement dans ses bras. Kent Hehr n’a toutefois jamais réintégré le cabinet de Justin Trudeau.
Des allégations déclenchent une saga
On peut se demander à quoi ressemblerait le paysage politique aujourd’hui si Patrick Brown était demeuré chef du Parti conservateur de l’Ontario. Son rêve de devenir premier ministre a abruptement pris fin le 25 janvier. Quelques heures après avoir nié des allégations d’inconduite et d’agression sexuelles en conférence de presse, M. Brown démissionnait en pleine nuit à quatre mois des élections provinciales. La pression était trop forte. Le réseau CTV venait de rapporter, sans les identifier, les propos de deux jeunes femmes qui soutenaient avoir eu des contacts sexuels non désirés avec lui. L’une disait avoir été son employée au moment des faits reprochés — M. Brown était alors député fédéral. L’autre prétendait qu’il lui aurait demandé de lui faire une fellation chez lui, alors qu’elle était mineure et en état d’ébriété. Elle a par la suite changé sa version en affirmant qu’elle avait plutôt l’âge adulte, mais a maintenu le reste de ses allégations.
Déchu, Patrick Brown a lancé une poursuite en diffamation de 8 millions $ contre CTV. Il nie toujours ces allégations qui n’ont pas été vérifiées par La Presse canadienne. Le Parti conservateur ontarien a tenu une course à la direction in extremis au cours de laquelle M. Brown s’est présenté comme candidat à sa propre succession, pour finalement jeter l’éponge quelques jours plus tard. C’est l’ex-conseiller municipal torontois Doug Ford qui est finalement devenu chef du parti, puis premier ministre de l’Ontario. Patrick Brown a, quant à lui, fait un retour en politique, en octobre, à la mairie de Brampton. Il a par la suite publié un livre dans lequel il affirme avoir été victime d’un «assassinat politique».
Le Parti conservateur fédéral éclaboussé
Les révélations à l’endroit de Patrick Brown ont eu des échos sur la scène fédérale. Une semaine après sa démission, le chef du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer, cède à la pression à l’intérieur de ses rangs et lance une enquête indépendante sur l’affaire Rick Dykstra, un ex-député fédéral proche de M. Brown devenu président du Parti conservateur de l’Ontario. Le magazine Maclean’s révèle le 28 janvier que les stratèges conservateurs fédéraux, après avoir hésité, ont permis au député sortant de se porter candidat lors des élections de 2015, en sachant qu’il était soupçonné d’agression sexuelle sur une employée. M. Dykstra démissionne le jour même, alors que les conservateurs de l’Ontario sont déjà en pleine crise. Il nie ces allégations qui n’ont pas été vérifiées par La Presse canadienne. Onze mois plus tard, l’enquête n’est toujours pas terminée. Elle aurait pourtant permis au parti de mieux sélectionner les candidats conservateurs en prévision du scrutin de 2019. «Je suis tellement confiant qu’on va avoir le rapport tellement en avance de la prochaine élection», a affirmé M. Scheer lorsque La Presse canadienne l’a questionné avant la fin des travaux parlementaires. «C’est un processus indépendant, a-t-il rappelé. Je ne (le) contrôle pas parce que c’est indépendant (…).» Il promet toujours de rendre publiques les conclusions de cette enquête.
Exclu, il ravive un parti qui n’existe plus
Suspendu le 1er février pour des allégations de harcèlement et d’inconduite sexuelle, le député Erin Weir aurait pu rester au sein du caucus néo-démocrate à l’issue d’une enquête, mais une entrevue dans laquelle il identifie l’une des plaignantes et dénonce ce qu’il considère comme une manoeuvre politique, scelle son sort. Il est exclu le 3 mai au terme de cette enquête qui conclut que des preuves soutenaient une allégation de harcèlement et trois allégations de harcèlement sexuel. Le député n’avait pas su reconnaître les signes non verbaux dans certaines situations sociales. Le rapport n’a toutefois jamais été rendu public par le chef néo-démocrate Jagmeet Singh. M. Weir avait été suspendu de ses fonctions parlementaires alors qu’il tentait de devenir président du caucus. La députée Christine Moore avait envoyé un courriel à l’ensemble de ses collègues néo-démocrates dans lequel elle révélait que plusieurs femmes lui avaient confié qu’il les harcelait. L’élu saskatchewanais a tenté de contester le processus d’enquête en vain. Au lieu de siéger comme indépendant, il s’est déclaré député de la Fédération du Commonwealth coopératif. Ce parti social-démocrate n’existe plus depuis 1961…
Une députée blanchie
La députée Christine Moore, qui avait dénoncé son collègue Erin Weir, a elle aussi fait l’objet d’une enquête en 2018. Glen Kirkland, un ex-militaire blessé en Afghanistan, l’accusait d’avoir abusé de son autorité pour avoir une relation sexuelle avec lui cinq ans auparavant. Ces allégations publiées le 8 mai sur le site Web de CBC avaient mené le jour même à la suspension de la députée. Dans une entrevue exclusive accordée quelques jours plus tard à La Presse canadienne, Mme Moore avait révélé, photos à l’appui, qu’elle avait plutôt eu une relation amoureuse avec M. Kirkland qui avait duré environ quatre mois. L’ex-militaire a refusé de participer à l’enquête indépendante, qui a finalement conclu que l’élue n’avait pas commis d’inconduite sexuelle et n’avait pas «abusé de sa position d’autorité». Le rapport n’a jamais été rendu public. Mme Moore a pu réintégrer ses fonctions parlementaires en juillet 2018. CBC lui a depuis présenté ses excuses. La députée québécoise, qui est enceinte de son troisième enfant, a abandonné l’idée de poursuivre M. Kirkland et d’autres médias en diffamation, pour mettre toute cette histoire derrière elle.
Le premier ministre aussi est visé
Justin Trudeau n’a pas été à l’abri des allégations d’inconduite sexuelle en 2018. Un éditorial anonyme publié dans un journal de la Colombie-Britannique il y a près de 20 ans a refait surface au début de l’été. L’auteure racontait à l’époque que M. Trudeau l’aurait touchée de façon inappropriée lors d’un festival. Il s’est par la suite excusé. Le premier ministre, connu pour sa tolérance zéro envers les allégations d’inconduites sexuelles au sein de son parti, a d’abord indiqué qu’il ne se souvenait pas d’avoir eu quelque «interaction négative» que ce soit ce jour-là. Il a reconnu par la suite que la jeune journaliste ait pu avoir une perception différente tout en répétant qu’il était certain de ne pas avoir agi de façon déplacée.
Formation obligatoire pour un député
Un député libéral d’arrière-ban est forcé en octobre de suivre une formation sur le harcèlement sexuel à ses frais et de participer à un processus de médiation avec la victime. Darshan Kang de Calgary avait quitté le caucus libéral en août 2017, quelques mois avant que le mot-clic #moiaussi devienne viral. Il faisait alors l’objet d’une enquête indépendante demandée par la Chambre des communes. Le rapport a confirmé qu’il avait eu des comportements déplacés envers l’une de ses employées. Il aurait notamment tenté d’accéder de façon inappropriée à sa chambre d’hôtel à Ottawa.
Un ex-ministre envoie des photos intimes
On n’a plus revu Tony Clement dans les couloirs du Parlement depuis qu’il a avoué être empêtré dans un scandale sexuel. Le dernier vote auquel il a participé à la Chambre des communes remonte au 6 novembre 2018, le jour où il a fait ses premiers aveux. Le député conservateur, poids lourd du parti et vétéran de la politique, avait causé la surprise en révélant avoir partagé une vidéo et des photos sexuellement explicites de lui en ligne. Le destinataire, qu’il croyait être une femme consentante, tentait de lui soutirer de l’argent. L’affaire a soulevé des questions de sécurité nationale puisque l’élu était membre d’un comité qui supervise les agences de renseignement. On craint qu’il ait été ciblé à cause de ce rôle qui exige une cote de sécurité «très secrète». D’abord prêt à le garder au sein de son groupe parlementaire, le chef conservateur Andrew Scheer, s’est ravisé le lendemain et a demandé au député de quitter le caucus après avoir pris connaissance de nouvelles allégations. Ce n’était pas la première fois que M. Clement devait s’adresser à la police pour une tentative d’extorsion causée par ses échanges intimes sur le Web. Plusieurs jeunes femmes lui ont également reproché son comportement discutable envers elles sur les réseaux sociaux. Il leur aurait, par exemple, écrit des messages non sollicités tard dans la nuit. Le député s’est excusé de les avoir mises mal à l’aise et a reconnu son manque de jugement.