Il faut continuer de témoigner de la Shoah pour les nouvelles générations

TORONTO — Joseph Gottdenker n’était pas là le jour où ses proches ont été rassemblés sur une place d’une ville polonaise pour y être sélectionnés par les troupes allemandes pour un emprisonnement dans un camp de concentration ou une exécution immédiate. Il était caché au sein d’une famille voisine qui lui a donné une éducation catholique pour sa propre protection.

Si aucun des quelque 70 membres de la famille élargie de M. Gottdenker n’a pas été immédiatement envoyé au tristement célèbre camp d’Auschwitz-Birkenau, certains d’entre eux y ont péri, victimes comme près des six millions de Juifs de la haine nazie lors de la Shoah.

Âgé de 77 ans, M. Gottdenker, qui a élu domicile à Toronto en 1958, dit visiter le camp d’extermination à chaque fois qu’il en a l’occasion afin d’honorer la mémoire de sa famille. Sa prochaine visite qui se déroulera lundi dans le cadre d’un événement commémoratif visant à souligner le 75e anniversaire de la libération du camp portera davantage sur l’avenir que sur le passé.

«Les gens verront la cérémonie dans les médias. C’est peut-être la première fois qu’ils entendront parler de la Shoah, dit-il. S’ils rencontrent un négationniste, ils pourront réagir en conséquence grâce à cette connaissance. C’est la seule façon de perpétuer la mémoire.»

À la fin de la guerre, M. Gottdenker a pu retrouver son père, sa mère, deux oncles et une tante. Les autres membres de la famille sont morts au cours de la guerre.

Si bon nombre de survivants ont relativement peu parlé de leurs épreuves douloureuses. M. Gottdenker n’a pas à en témoigner tout au long de sa vie d’adulte.

Des données récentes laissent toutefois entendre que les messages comme le sien n’atteignent pas toujours leur public cible.

Un sondage mené en 2019 par la Fondation Azrieli de Toronto et un organisme américain indiquait que 54 % des répondants ne savaient pas le nombre de Juifs assassinés par les nazis au cours de la Shoah.

Selon ce sondage mené auprès de 1100 Canadiens, 22 % des répondants âgés de 18 à 34 ans disaient n’avoir jamais entendu parler de la Shoah ou ne pas en être sûrs.

La directrice du programme Mémoires des survivants de la Shoah à la Fondation, Jody Spiegel, dit que plusieurs survivants de la persécution nazie se sont sentis obligés de témoigner des atrocités.

Si beaucoup disent avoir éprouvé un sentiment de liberté après avoir partagé leurs expériences, Mme Spiegel souligne que ce processus peut être très émotif et rouvrir de vieilles blessures.

Mais leur message est d’autant plus pertinent à cause de l’actuelle montée de l’antisémitisme sur la planète.

Selon Statistique Canada, le nombre de crimes haineux rapportés à la police a augmenté de 47 % en 2017, par rapport à 2016. Les actes contre les Juifs ont bondi de 63 %. Les attaques contre des musulmans ont grimpé de 151 % au cours de la même période.

Mme Spiegel dit que le seul moyen de lutter contre cette tendance inquiétante est de faire appel aux mémoires personnelles.

«On doit réellement faire le réaliser à la population afin de créer une certaine empathie historique. Il faut que cela ne se reproduise plus jamais», s’exclame-t-elle.

Mme Spieglel soutient que les témoignages des quelque 40 000 Juifs arrivés au Canada après la guerre résonnent encore plus fortement dans une société de plus en plus multiculturelle.

M. Gottdenker, pour sa part, veut faire partager son expérience aussi longtemps qu’il le pourra.

«Plus jamais? Ce n’est pas seulement plus jamais pour les Juifs, mais aussi plus jamais pour aucune minorité.»