HALIFAX — À l’aube du troisième anniversaire de la tuerie en Nouvelle-Écosse, Tammy Oliver-McCurdie se prépare à un rituel tout simple qui lui rappellera les êtres chers qu’elle a perdus.
Mme Oliver-McCurdie est la sœur aînée de Jolene Oliver, abattue le soir du 18 avril 2020 à Portapique par un homme déguisé en policier de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le tueur a également abattu ce soir-là le compagnon de Jolene, Aaron Tuck, et leur fille, Emily Tuck, âgée de 17 ans.
Mme Oliver-McCurdie a déclaré que mardi, elle passera du temps à regarder de vieilles photos et vidéos de la famille, une façon pour elle de faire son deuil en privé, loin du «tumulte» qui accompagne si souvent les discussions sur cette tuerie.
«Nous ne savons toujours pas ce qui s’est passé dans la maison de ma famille, et ces trois années de procédures n’ont pas permis à ma famille de le savoir», a-t-elle déclaré vendredi dernier en entrevue depuis son domicile de Red Deer, en Alberta. «L’anniversaire, c’est en grande partie un processus de deuil accompagné de colère.»
Dans les mois à venir, Mme Oliver-McCurdie entend veiller à ce que des mesures soient prises pour donner suite aux 130 recommandations formulées dans le rapport de la commission d’enquête publique. Cette commission devait notamment déterminer pourquoi il avait fallu 13 heures à la GRC pour arrêter un homme qui a eu le temps de tuer 22 personnes les 18 et 19 avril 2020.
L’enquête a également examiné ce qui s’est passé avant et après les meurtres, afin de déterminer comment prévenir de telles tragédies.
«Des changements sont nécessaires pour sauver des vies, a déclaré Mme Oliver-McCurdie. Ma tâche consiste à vérifier tous les six mois, et si (ces changements) ne sont pas apportés, nous (les familles des victimes) devrons peut-être à nouveau faire entendre notre voix.
«Mais il y a des inquiétudes persistantes sur le fait que peu de choses vont changer, voire aucune, en particulier en ce qui concerne la GRC», admet-elle.
Une machine «lente à s’adapter»
Cal Corley, un ancien commissaire adjoint de la GRC, croit qu’à la suite de la pire tuerie de l’histoire moderne du Canada, «il serait tragique de ne pas voir de réforme significative (vers) le type de culture qui sera exigée de la GRC, alors que nous entrons dans une nouvelle ère de maintien de l’ordre». Mais il rappelle aussi qu’«au cours des 35 ou 40 dernières années, la GRC a toujours été lente à s’adapter».
La Commission des pertes massives a passé deux ans et demi à enquêter sur cette tragédie. L’enquête fédérale-provinciale a appris que le tueur avait agressé sa conjointe, puis abattu 13 personnes à Portapique, conduisant une autopatrouille ressemblant trait pour trait à une voiture de la GRC. Le lendemain, il a tué neuf autres personnes avant que deux policiers de la GRC ne l’abattent dans une station-service à Enfield, à une centaine de kilomètres au sud de Portapique.
La commission a publié le 30 mars un rapport final de 3000 pages. Ce rapport invite notamment Ottawa à repenser le rôle central de la GRC dans le maintien de l’ordre au Canada, surtout en régions rurales.
Selon M. Corley, les changements au sein de la GRC ne s’imposeront pas tant que les rôles et responsabilités de l’état-major de la GRC n’auront pas été clarifiés. L’enquête a notamment recommandé à la GRC de prendre des mesures pour mettre un terme aux aspects malsains de la culture de direction de la GRC.
Le politique maintenant
Mais les recommandations de la commission ne sont pas contraignantes. Et si le passé est garant de l’avenir, rappelle M. Corley, il est peu probable que beaucoup de choses changent au sein de l’état-major.
M. Corley est PDG de la «Community Safety Knowledge Alliance», une agence à but non lucratif qui aide les gouvernements, les corps policiers et d’autres acteurs à développer de nouvelles approches en matière de sécurité et de bien-être communautaires.
«La (commission) a examiné 71 enquêtes et examens, qui ont formulé un total combiné de 2000 recommandations dans le passé, a déclaré M. Corley dans une récente entrevue. Et plusieurs d’entre elles sont toujours sans réponses.»
Afin de s’assurer que ses recommandations ne soient pas ignorées, la commission a demandé à Ottawa et au gouvernement de la Nouvelle-Écosse de mettre sur pied un organisme de mise en œuvre et de responsabilisation d’ici le 31 mai.
Mais la GRC a déjà évité de se mettre au pas de ce genre d’organisme auparavant, dit M. Corley, citant un groupe de travail de 2007 sur le rétablissement de la confiance dans la GRC.
Christopher Schneider, professeur de sociologie à l’Université de Brandon au Manitoba, affirme que deux des recommandations les plus importantes de la commission ont peu de chances de devenir réalité, principalement à cause de la politique.
Contrôle des armes
L’enquête a appris que le tueur, Gabriel Wortman, était en possession de quatre armes semi-automatiques obtenues illégalement lorsqu’il a commencé sa tuerie. La commission souhaite que le Code criminel soit modifié pour interdire toutes les armes de poing semi-automatiques et tous les fusils semi-automatiques, ainsi que les fusils de chasse qui déchargent des munitions à percussion centrale et acceptent des chargeurs détachables d’une capacité de plus de cinq cartouches.
«Ça n’arrivera pas», laisse tomber le professeur Schneider, soulignant la décision du gouvernement libéral fédéral, en février, de reculer sur un tel projet de loi. Le Parlement, cependant, débat toujours d’un projet de loi sur le contrôle des armes à feu présenté en mai dernier par les libéraux, qui a suscité l’opposition de groupes de pression.
Pendant ce temps, la recommandation de la commission de fermer l’académie de formation de la GRC à Regina d’ici 2032 est également vouée à l’échec, a déclaré M. Schneider, un expert des questions policières.
Plus tôt ce mois-ci, l’Assemblée législative de la Saskatchewan a approuvé une motion pour s’opposer à la fermeture de la «Division Dépôt», qui sert à former les agents de la «police montée» depuis 1885. Les députés fédéraux de la région s’opposent également à cette décision.