La Cour estime que les dossiers de la Crise d’octobre relèvent du politique

MONTRÉAL — Ce n’est plus aux tribunaux, 50 ans après les faits, de trancher sur la légalité de l’imposition de la Loi sur les mesures de guerre durant la Crise d’octobre de 1970 et leurs conséquences sur les citoyens qui en ont fait les frais.

Le juge Sylvain Lussier, de la Cour supérieure, a ainsi rejeté mardi l’action intentée par Gaétan Dostie et l’organisme Justice pour les prisonniers d’octobre 1970, qui tentaient d’obtenir de la Cour qu’elle déclare inconstitutionnels les lois et règlements adoptés par le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau à l’époque. 

Gaétan Dostie recherchait également une déclaration de la Cour à l’effet qu’il y avait eu au Québec «une violation systématique des droits fondamentaux (…) de plus de 500 personnes arrêtées et détenues (…) et de plus de 30 000 personnes perquisitionnées».

Gaétan Dostie avait été arrêté à deux reprises les 16 et 17 octobre et détenu durant 11 jours sans qu’aucune accusation ne soit portée contre lui. Il était étudiant en lettres et n’a jamais été membre du Front de libération du Québec. Aujourd’hui pédagogue, animateur culturel, essayiste et poète, il est le fondateur de la Médiathèque littéraire Gaétan Dostie et récipiendaire de la Médaille de l’Académie des lettres du Québec.

Un jugement politique

Dans une décision de 35 pages, le juge Lussier donne raison au Procureur général du Canada, qui lui demandait de rejeter la demande d’action, faisant notamment valoir qu’un éventuel jugement «n’apporterait pas de solution pratique» et que si la Cour donnait raison aux demandeurs, «les parties demanderesses obtiendraient un jugement ayant une valeur purement politique». 

Gaétan Dostie ne s’en cachait d’ailleurs pas, souligne le magistrat: «Les demandeurs ne nient pas rechercher un appui juridique à leurs revendications qui sont d’ordre politique, soit d’obtenir une reconnaissance de la violation de leurs droits, des excuses, et possiblement une compensation. Leur demande introductive d’instance modifiée reconnaît rechercher à « supporter leurs démarches en vue d’obtenir des excuses et une compensation »».  

Le juge Lussier souligne à cet effet que le tribunal, en se penchant sur les questions soulevées et en rendant une décision «se trouverait à piétiner la ligne de démarcation entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif». 

Un débat légitime, mais qui ne relève plus des tribunaux

Bien qu’il qualifie de «légitime» le débat sur la légalité et la légitimité des gestes posés par les gouvernements en octobre 1970, il fait valoir que ce débat «est depuis longtemps déjà dans l’arène historique et politique. Les tribunaux ne devraient plus y être interpelés.» 

De plus, il estime «qu’un délai de cinquante ans n’est pas raisonnable» et que, de toute façon, un jugement «ne mettrait pas fin à la controverse que suscitera probablement encore longtemps cet épisode de notre histoire». 

En conclusion, il se range clairement du côté du Procureur général du Canada en écrivant que «la seule utilité d’un jugement favorable serait de pouvoir faire pression sur le gouvernement, pour obtenir des excuses».

Par contre, il avertit que sa décision «ne porte donc aucune inférence négative quant à la légitimité du combat de monsieur Dostie afin d’obtenir une forme de réparation politique pour les gestes posés à son égard et à l’égard de tous ceux qui ont été emprisonnés sans mandat et sans accusation en 1970. Aucune conclusion négative ne devrait être tirée quant au sérieux des traumatismes qu’il dit avoir éprouvés.»