La Couronne et le Conseil privé ont discuté du procès Mark Norman

OTTAWA — Les avocats du vice-amiral Mark Norman ont soulevé lundi des doutes sur l’indépendance des procureurs fédéraux dans cette affaire, en soulignant que la Couronne et des avocats du «ministère du premier ministre» avaient discuté à plusieurs reprises l’an dernier de «stratégie» en vue du procès.

Des copies partiellement caviardées des notes prises par la Couronne au cours de ces entretiens avec des avocats du Bureau du Conseil privé ont été déposées lundi au tribunal, lors des audiences préparatoires au procès. Les avocats de M. Norman tentent d’avoir accès à des milliers de documents gouvernementaux.

La procureure principale, Barbara Mercier, a assuré l’avocate de M. Norman, Christine Mainville, dans un courriel également déposé devant le tribunal, que les notes manuscrites avaient été expurgées parce qu’elles traitaient de «stratégie du procès», et non de la préparation des témoins ou de la preuve qu’ils soumettraient.

Mais Me Mainville a soutenu lundi au tribunal que les procureurs ne devraient même pas discuter de stratégie avec le Bureau du Conseil privé, qu’elle a appelé le «bras droit» du Cabinet du premier ministre — c’est ce bureau qui avait ouvert la première enquête ayant plus tard mené au dépôt de l’accusation contre M. Norman.

«Le Bureau du Conseil privé soutient le premier ministre. Il met en œuvre les initiatives du Cabinet du premier ministre. Il exécute, au nom du Cabinet du premier ministre», a déclaré Me Mainville. «On dirait bien que la poursuite élabore sa stratégie pour le procès avec (…) l’organe qui rend compte et exécute les directives du Cabinet du premier ministre», a-t-elle plaidé.

Me Mainville a aussi estimé que les discussions entre la Couronne et le Bureau du Conseil privé sont «plus préoccupantes» encore que les allégations selon lesquelles le Cabinet du premier ministre aurait tenté d’intervenir dans la poursuite criminelle intentée contre SNC-Lavalin.

Le Cabinet du premier ministre Justin Trudeau est soupçonné d’avoir tenté de faire pression sur l’ancienne procureure générale Jody Wilson-Raybould pour qu’elle ordonne aux procureurs fédéraux de négocier un «accord de réparation» avec la firme québécoise de génie afin de lui éviter un procès.

«Tant pis pour l’indépendance»

«De toute évidence (dans l’affaire Norman), il s’agit d’une influence plus directe de la poursuite», a déclaré Me Mainville. «On contourne complètement le procureur général. Le Cabinet du premier ministre, par l’intermédiaire de son bras droit, le Bureau du Conseil privé, traite directement avec le (Service des poursuites pénales du Canada – SPPC). Et le service des poursuites permet que cela se produise.»

«Tant pis pour l’indépendance du SPPC», est intervenue la juge Heather Perkins-McVey, qui a ordonné à la Couronne de lui remettre une copie non caviardée des notes manuscrites, à conserver sous scellé, avant la reprise de l’audience vendredi.

M. Norman a été suspendu en janvier 2017 de ses fonctions de commandant adjoint de l’armée et de commandant de la Marine. Il a été accusé en mars 2018 d’un chef d’abus de confiance pour avoir prétendument divulgué des secrets du cabinet aux dirigeants du chantier naval québécois Davie. Selon la Couronne, le commandant de la Marine tentait ainsi de sauver un contrat conclu par le précédent gouvernement conservateur, mais réévalué par le gouvernement libéral qui venait d’être élu en 2015.

Le vice-amiral a nié tout acte répréhensible; son procès, politiquement chargé, doit commencer en août — et il devrait donc se dérouler en partie pendant la campagne électorale fédérale de l’automne.

On assistait lundi au neuvième jour des audiences préparatoires au procès de M. Norman, qui ont débuté en décembre. La juge Perkins-McVey, de la Cour de l’Ontario, doit décider quels documents du gouvernement les avocats de M. Norman pourront consulter. L’essentiel des procédures a porté sur la question de savoir si le gouvernement avait tenté de dissimuler des documents essentiels, d’empêcher l’accès à des témoins, de choisir les informations qui pouvaient être rendues publiques, ou d’entraver de quelque autre façon les procédures.

Les avocats de M. Norman demanderont par ailleurs un non-lieu, le mois prochain, lors d’une audience pour «abus de procédure». Ils soutiennent qu’il n’y a aucune raison légitime pour qu’une accusation soit portée contre le vice-amiral dans cette affaire.