MONTRÉAL — Pas question que la COVID fasse taire la musique.
Il était impensable pour la Faculté de musique de l’Université de Montréal (UdeM) que la pandémie signe l’arrêt des cours en salle de classe, des concerts et des pratiques d’orchestre — tous inestimables pour ses étudiants. Pour la rentrée scolaire, son équipe a notamment imaginé comment doubler la superficie de sa scène de spectacle, une plateforme qui permettra la distanciation physique, et qui en sera aussi une pour réinventer l’enseignement et la performance de leur art.
Le jour où il a été annoncé que les classes étaient suspendues pour prévenir la propagation de la COVID-19, le 13 mars dernier, des étudiants de l’UdeM étaient en train de faire leur dernière répétition du «Chevalier à la rose» de Strauss en vue d’un concert.
C’est le chef d’orchestre et directeur artistique de l’orchestre de l’université, Jean-François Rivest, qui a dû leur apprendre la mauvaise nouvelle.
«Je dis toujours aux étudiants qu’ils doivent jouer comme si c’était la dernière fois. Et là, c’était vrai, c’était la dernière fois.
«Ça pleurait dans l’orchestre. C’était incroyable la réaction. Ils voulaient jouer», a-t-il relaté cette semaine devant la scène de la salle Claude-Champagne, le plus important lieu de diffusion de l’UdeM.
Toutes les facultés des universités québécoises se sont tournées vers l’enseignement en ligne, en raison de la crise sanitaire. Mais si d’autres matières peuvent s’enseigner plus facilement à distance, la musique se trouve dans une classe à part.
«Analyser une symphonie de Beethoven via Zoom, ça va. Jouer du violon, ça ne marche pas», résume le chef d’orchestre.
Après un court moment d’angoisse, la doyenne de la Faculté de musique, Nathalie Fernando, a eu cette réaction: «il faut rester vivants».
Les projets dans ce but se sont succédé, en vue de la rentrée scolaire à l’automne — et même avant.
L’un d’eux est cette immense plateforme qui sera construite d’ici le mois d’août et qui recouvrira les huit premières rangées de sièges de la salle Claude-Champagne.
Celle-ci ne pourrait actuellement recevoir que 35 musiciens qui respectent les règles de distanciation. Trop petit pour y jouer une symphonie de Beethoven, dit le chef d’orchestre.
Avec cette addition modulaire — qui pourra être enlevée et remise à volonté — la scène pourra plus que doubler sa superficie en atteignant 2750 pieds carrés, l’équivalent de celle de la Maison symphonique à Montréal, et pourra accueillir 75 musiciens, précise Onil Brousseau, coordonnateur à la production. Elle a été conçue par Scène Éthique, une entreprise québécoise qui a travaillé avec Céline Dion, le Cirque du Soleil et Robert Lepage.
Et elle ouvre une foule de possibilités: des caméras et des lumières pourront être placées sous de nouveaux angles, tout comme les musiciens — en cercle, avec les choristes autour d’eux, et le chef d’orchestre en plein milieu, dit ce dernier en réfléchissant à haute voix.
Des plexiglas seront installés sur certains pupitres et des réservoirs ajoutés pour les instruments à vent, ajoute Mme Fernando.
Pour l’instant, il est prévu que cette scène agrandie serve aux captations audiovisuelles, bonifiées par une collaboration avec le Département d’études cinématographiques.
La scène agrandie profitera donc au public, qui pourra écouter en ligne les concerts, et aux étudiants qui auront un lieu pour apprendre et travailler avec les autres, en format orchestre ou symphonique.
«Les étudiants le demandent tous: est-ce qu’il y aura de l’orchestre? de l’opéra?» rapporte M. Rivest. S’il y a d’autres salles de spectacle à Montréal, la leur a quelque chose d’unique, explique-t-il: «les étudiants apportent leur âme de jeunes, leur ébullition et leur force de vivre que l’on n’a qu’à 20 ans».
Cette scène permettra aussi à la Faculté de développer de nouvelles expertises et des formations supplémentaires qui pourront servir au milieu de la musique, ajoute Pierre Michaud, le vice-doyen aux cycles supérieurs et à la recherche.
«On a un rôle à jouer comme université de recherche qui est de proposer des pistes de solution et de nouvelles façons de faire», dans cette époque de pandémie, ajoute-t-il.
Quand la COVID est arrivée, on s’est demandé: c’est quoi la formation pour un étudiant en musique du 21e siècle? dit Mme Fernando.
Mais sa faculté avait déjà entamé cette grande réflexion avant le 13 mars, dont la collaboration avec le cinéma.
La pandémie leur a toutefois permis de migrer vers autre chose: «elle nous oblige à aller plus loin, plus vite», dit-elle.
«L’avenir, on va le penser.»
Regardant la scène vide, M. Rivest explique que d’apprendre à jouer en vue d’un enregistrement est plus difficile qu’un concert en direct. «C’est un métier en soi.»
Il estime que la faculté doit donc apprendre à ses jeunes musiciens comment travailler avec les caméras et à se donner à 100 % sans public.
«Ce qu’on veut offrir à l’automne, ce n’est pas un Plan B ou un Plan C, dit M. Michaud. On est en train de se réinventer», avec un enseignement qui servira, qu’il y ait pandémie ou non.
L’automne sera ainsi parsemé de cours théoriques sur internet et d’autres en classe. Toute la faculté a été réorganisée pour que les lieux soient sécuritaires, souligne la doyenne. C’est déjà le cas cet été: un horaire permet aux étudiants de venir pratiquer de leurs instruments sur place car certains ne peuvent le faire à la maison. «Vous imaginez les voisins qui auraient six heures de trombone par jour?» s’exclame la doyenne.
L’Université de Montréal a été à l’écoute des besoins de la Faculté de musique et a fourni les fonds pour son projet de grande scène, ficelé à vitesse Grand V, se réjouit la doyenne.
«Tout le monde travaille pour que les étudiants puissent revenir, pour que la musique puisse recommencer là où elle s’est arrêtée», ajoute Onil Brousseau.
Et pour faire plaisir à ses étudiants privés de leur concert, M. Rivest a remis au programme en avril le «Chevalier à la rose».