La requête en Cour d’une dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou, est rejetée

VANCOUVER — Une juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué contre Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei recherchée pour fraude aux États-Unis.

La juge Heather Holmes a déclaré dans sa décision, mercredi, que les allégations contre la femme d’affaires chinoise pourraient constituer un crime au Canada.

«Sur la question de droit soulevée, je conclus que, en matière de droit, le critère de double incrimination nécessaire à l’extradition peut être satisfait dans ce dossier», a-t-elle écrit.

La décision signifie que le tribunal continuera d’entendre d’autres arguments dans l’affaire d’extradition, notamment pour déterminer si l’arrestation de Mme Meng à l’aéroport de Vancouver en décembre 2018 était illégale.

Cela signifie également que la dame de 48 ans ne sera pas autorisée à retourner en Chine et devra rester au Canada.

Les allégations contre Mme Meng, qui est directrice financière de Huawei et la fille du fondateur de l’entreprise Ren Zhengfei, remontent à 2013.

Elle a nié les accusations voulant qu’elle ait fait de fausses déclarations à la Banque HSBC, minimisant considérablement la relation de Huawei avec Skycom Tech Co. et mettant la banque en danger de violer les sanctions américaines contre l’Iran.

Huawei a fait part de sa déception par voie de communiqué. «Huawei continue de soutenir Mme Meng dans sa quête de justice et de liberté, peut-on lire dans la réaction de l’entreprise. Nous nous attendons à ce que le système judiciaire canadien reconnaisse ultimement l’innocence de Mme Meng.»

En janvier, la juge Holmes a entendu les arguments des parties concernant la règle dite de double incrimination, c’est-à-dire que le crime allégué dans l’État qui réclame l’extradition doit également constituer un crime selon la loi canadienne s’il était commis au pays.

Les avocats de Meng Wanzhou ont plaidé que les faits reprochés à leur cliente ne constitueraient pas une fraude au Canada parce que la cause repose entièrement sur les sanctions économiques américaines à l’endroit de l’Iran. Au moment des faits, le Canada n’appliquait aucune sanction du genre et c’est toujours le cas aujourd’hui, ont-ils souligné.

Le Procureur général du Canada a répliqué que les allégations de fraude pourraient être débattues sans faire référence aux sanctions américaines.

Dans sa décision, la juge Holmes concède que les allégations dépendent des sanctions américaines, mais considère que cet argument n’est pas suffisant pour rejeter entièrement la demande d’extradition.

Bien qu’elle juge que les sanctions américaines ne sont pas «intrinsèquement» liées aux allégations, celles-ci expliquent comment la Banque HSBC se trouvait en danger de les violer.

«Pour cette raison, je ne peux pas être en accord avec la position de Mme Meng sur le fait que de faire référence aux sanctions américaines afin de comprendre le risque encouru par la HSBC correspond à permettre de définir l’essence de la conduite selon les critères d’une loi étrangère. Les lois du Canada déterminent si le geste allégué, dans son essence, constitue une fraude.»

Sur ce point, la juge Holmes affirme que les avocats de la défense ont employé un cadre «artificiellement restreint» de la définition de fraude dans un contexte d’extradition.

«L’infraction de fraude possède une très vaste portée potentielle», a-t-elle tranché.

L’interprétation que fait la défense de la règle de double incrimination viendrait également «limiter sérieusement la capacité du Canada de respecter ses obligations internationales dans un contexte d’extradition pour fraude et autres crimes économiques», a poursuivi la magistrate.

Prochaine étape

La juge Heather Holmes refuse donc la demande de Mme Meng de rejeter l’affaire et de la libérer.

Parallèlement, elle refuse de se prononcer sur l’enjeu de fond à savoir si la preuve est suffisante, selon la Loi sur l’extradition, pour démontrer que le comportement allégué justifierait la tenue d’un procès pour fraude au Canada.

«Cette question devra être déterminée à une étape ultérieure des procédures», écrit-elle.

La prochaine étape du processus étudiera la requête de la défense selon laquelle l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et la police fédérale américaine (FBI) ont violé les droits de Mme Meng en récoltant des éléments de preuve avant qu’elle ne soit mise en état d’arrestation.

Ses avocats ont affirmé en cour que les trois agences ont mené une «opération d’enquête criminelle secrète» au moment de l’arrestation de leur cliente à l’aéroport de Vancouver, violant ses droits protégés par la Charte des droits et libertés de la personne.

La Couronne soutient que les autorités ont respecté la loi pendant la détention de Mme Meng et qu’il n’existe aucune preuve d’une arrestation illégale.

Les agents de l’ASFC ont saisi le téléphone, la tablette et d’autres appareils appartenant à Mme Meng et ont noté ses mots de passe qu’ils ont ensuite remis à la GRC après son arrestation.

Selon la Couronne, dès que l’ASFC a reconnu son erreur, elle a informé la GRC que les mots de passe ne pouvaient pas être utilisés puisqu’ils avaient été obtenus lors des vérifications menées par ses agents.

Réactions et représailles

Le ministre des Affaires étrangères, Francois-Philippe Champagne a commenté la décision par une déclaration publiée sur Twitter. Il a une fois de plus appelé la Chine à libérer les Canadiens Michael Kovrig et Micheal Spavor «détenus arbitrairement depuis plus de 500 jours».

Il a aussi lancé un appel à la clémence pour un autre Canadien, Robert Schellenberg, condamné à mort pour des infractions liées au trafic de drogue.

Le département de la justice des États-Unis a remercié le Canada pour son soutien dans l’affaire Meng Wanzhou, mais le ministre Champagne a répété que le système judiciaire canadien fonctionne de manière indépendante.

Parmi les réactions politiques, le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet a déclaré que le Canada doit essayer de sortir de cet imbroglio en raison de l’importance de maintenir une bonne relation avec la Chine.

«Entre la collaboration scientifique avec la Chine, qui est quand même une puissance scientifique considérable, et la démonisation de la Chine, qui est une spécialité conservatrice, on est obligé d’avoir une relation avec ce géant-là», analyse-t-il.

«Il faut que ce soit une relation entre le Canada et la Chine et non une relation entre le « Canada-instrument-américain » et la Chine», décrit M. Blanchet.

Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur du Canada en Chine, s’attend à ce que le président Xi Jinping exige rapidement de nouvelles sanctions contre le Canada puisque le parlement chinois siège encore jusqu’à demain.

Il s’attend à des sanctions commerciales, mais croit que les importations de porc canadien ou les exportations de matériel médical vers le Canada seront épargnées.

Selon lui, bloquer l’approvisionnement de matériel médical en pleine pandémie ferait trop mal à l’image de la Chine. Il croit aussi que c’est justement sur ce tableau que le gouvernement Trudeau doit continuer de jouer.

En misant sur l’appui de ses alliés du G7, le Canada doit envoyer le message à la Chine qu’on «n’a pas de problème que vous soyez une superpuissance, mais vous devez respecter les règles du jeu. Arrêtez d’adopter des comportements de voyou».

D’ailleurs, Guy Saint-Jacques croit aussi que le ton doit changer puisque la stratégie d’éviter toute critique envers Pékin n’a donné aucun résultat. Le sort des détenus canadiens devrait même en souffrir.

L’ex-ambassadeur s’attend à ce MM. Kovrig et Spavor subissent rapidement leur procès respectif et qu’ils reçoivent des peines d’emprisonnement sévères.