TORONTO — De nombreux employeurs ontariens doivent dorénavant disposer d’une politique qui précise comment et pourquoi ils décideraient de surveiller électroniquement leurs employés. Mais des experts soutiennent qu’il en faut plus pour combler ce que certains appellent des «lacunes épouvantables» en matière de protection de la vie privée des travailleurs.
Le gouvernement ontarien a adopté en avril une loi qui obligeait les entreprises de 25 employés ou plus à se doter d’ici six mois d’une politique de surveillance électronique. Cette exigence est entrée en vigueur mardi et les employeurs ont 30 jours pour remettre aux travailleurs une copie écrite.
Brenda McPhail, directrice du programme de protection de la vie privée, de technologie et de surveillance à l’Association canadienne des libertés civiles, admet que la loi ontarienne constitue un bon début.
«Ce que fait cette loi, c’est fournir une certaine transparence au départ», a déclaré Mme McPhail en entrevue. Par contre, la loi ne donne pas aux travailleurs la possibilité de contester cette surveillance de l’employeur.
À une époque où un nombre sans précédent de personnes travaille de la maison et où les nouvelles technologies ont permis une surveillance «de plus en plus intrusive», de nombreux travailleurs en Ontario voient leur protection de la vie privée limitée, estime Mme McPhail.
Pendant ce temps, la pandémie de COVID-19 a alimenté le marché des technologies de surveillance du lieu de travail, rappelle-t-elle. Des technologies telles que la surveillance des frappes sur le clavier et les détecteurs de mouvements oculaires sont de plus en plus courantes, car les entreprises recherchent des moyens de suivre à distance la productivité de leurs employés, a-t-elle déclaré.
«Le potentiel invasif d’un employeur qui essaie de vous surveiller (…) commence à être encore plus grand pour les personnes qui travaillent à domicile», estime Mme McPhail.
«Une première étape»
Le gouvernement ontarien soutient que la nouvelle loi permet au contraire de mieux protéger la vie privée des travailleurs en exigeant que les employeurs soient transparents sur la façon dont ils suivent leurs employés.
Le ministre ontarien du Travail, Monte McNaughton, a décrit la politique comme une «première étape» et la première du genre au Canada. «Ça donnera au gouvernement une image plus claire de ce que font les employeurs», a déclaré M. McNaughton en entrevue mardi.
Le Québec, l’Alberta et la Colombie-Britannique ont adopté des lois sur la protection des renseignements personnels qui imposent certaines limites à la collecte d’informations sur les employés par des entreprises privées.
Certains employés du secteur privé en Ontario sont couverts par la Loi fédérale sur la protection de la vie privée, mais la commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario avait demandé au gouvernement de la province de créer son propre cadre, compte tenu des critiques de la loi fédérale.
L’avocat Andrew Langille a parlé de «Far West» pour décrire la protection de la vie privée des travailleurs en Ontario. «Franchement, il n’y en a pas en dehors de certains recours civils très techniques, qui sont vraiment réservés aux professionnels ou aux cadres bien rémunérés — ce sont les seules personnes qui pourraient se permettre ce genre de luttes», estime Me Langille, avocat coordonnateur aux Services juridiques communautaires de Don Valley. «Il y a d’horribles lacunes dans cette loi.»
Le passage au télétravail pendant la pandémie a certes mis en évidence le problème, mais Me Langille souligne que la surveillance électronique existait depuis longtemps déjà sur des lieux de travail comme les usines et la restauration minute.
Dans la plupart des lieux de travail, et en particulier dans les services, les travailleurs savent généralement qu’ils sont surveillés, parce que les employeurs ne s’en cachent même pas, notamment pour prévenir le vol ou pour augmenter la productivité, rappelle Me Langille. «Je dirais que ce n’est pas du tout nouveau pour ces types de milieux de travail.»
Patrizia Piccolo, une avocate en droit du travail à Toronto, conseille à ses clients employeurs de rédiger leurs politiques en gardant à l’esprit une définition élargie de la surveillance électronique, compte tenu de la définition ouverte de la loi ontarienne.
Le ministre McNaughton souligne que le libellé de la loi est «délibérément large» pour englober un large éventail de pratiques de surveillance électronique, comme un capteur qui mesure la rapidité avec laquelle une caissière scanne les articles à l’épicerie, ou un GPS qui suit un camion de livraison.