MONTRÉAL — Deux brise-glaces de la Garde côtière et le navire OOCL Belgium ont échoué à deux reprises dans leurs tentatives de se frayer un passage dans la Voie maritime entre Montréal et Trois-Rivières, jeudi, alors que la grogne monte dans le milieu du transport maritime face à l’inaction d’Ottawa.
Une première tentative amorcée jeudi matin impliquant le Belgium, les brise-glaces Pierre Radisson et Amundsen ainsi que le porte-conteneurs Oceanex Avalon s’était heurtée à la pression de l’embâcle situé à la hauteur de l’île des Barques, à Sorel.
Cet embâcle avait fini par céder en fin d’avant-midi, mais l’amas de glace s’est transporté dans le lac Saint-Pierre, où le Belgium a dû s’incliner devant la force des éléments.
«Le Belgium s’est coincé dans les glaces à la hauteur de Maskinongé», a expliqué Isabelle Pelchat, gestionnaire pour le programme de déglaçage à la Garde côtière.
«Les deux brise-glaces sont avec lui pour relâcher la pression pour qu’il puisse reprendre son chemin et pour que nous puissions continuer à relâcher cette pression sans devoir travailler autour d’un navire», a-t-elle précisé en entrevue avec La Presse canadienne.
L’Avalon, de son côté, avait été laissé à Contrecoeur juste avant la première tentative, puis il a rebroussé chemin vers le port de Montréal.
«Son ratio poids-puissance n’était pas assez grand et nous avions des doutes», a expliqué Mme Pelchat. Le choix du Belgium était d’ailleurs relié à la robustesse et la puissance du navire qui, de toute évidence, n’étaient pas suffisantes non plus.
«C’est sûr qu’il n’y aura pas d’autres départs; lorsque le Belgium aura quitté le lac Saint-Pierre, il n’y aura pas de départ jusqu’à au moins demain (vendredi) matin», a précisé Mme Pelchat.
Reprise de la traverse de Sorel
En contrepartie, les usagers de la traverse Sorel-Tracy – Saint-Ignace-de-Loyola, paralysée depuis lundi midi, ont retrouvé le service à 13h30 jeudi.
Le lien maritime avait aussi été interrompu en raison des glaces dans le secteur de Sorel.
La Société des traversiers du Québec (STQ) a fait appel à deux remorqueurs pour s’assurer de briser la glace autour des quais d’embarquement.
Traverser le pont
Un troisième brise-glace, le Martha L. Black, devait rejoindre rapidement les deux autres après avoir procédé à un changement d’équipage à Trois-Rivières.
La prochaine étape sera de s’assurer que l’amas de glace franchit le pont Laviolette, à Trois-Rivières, sans causer de nouveau blocage sur la Voie maritime.
«Une fois que cet amoncellement de glace aura passé les ponts, on va pouvoir respirer un peu mieux», a indiqué Mme Pelchat.
Selon la Garde côtière, il y a présentement quatre navires bloqués à la hauteur des Escoumins qui ne peuvent venir vers Montréal, alors qu’il y a huit navires à Montréal en attente d’un passage vers l’est, auxquels il faut ajouter le Belgium, qui n’est pas au bout de ses peines.
Le Saguenay abandonné
La mobilisation des trois brise-glaces à la hauteur du lac Saint-Pierre a dénudé le reste du fleuve Saint-Laurent, le Golfe ainsi que le Saguenay.
La Garde côtière a envoyé le Desgroseillers à Québec pour assurer la sécurité portuaire à cette hauteur et un autre brise-glace, le Louis-Saint-Laurent, basé à Terre-Neuve, a été réquisitionné pour venir ouvrir la voie au Saguenay, où il est attendu vendredi après-midi pour ouvrir le passage, bloqué également.
L’industrie du transport maritime et ses clients n’ont pas manqué de faire connaître leur mécontentement.
«Le manque de brise-glaces nous empêche de faire nos activités normales depuis mardi matin», a confié la directrice des affaires corporatives de Rio Tinto, Claudine Gagnon, en entrevue téléphonique.
La société reçoit sa matière première pour fabriquer l’aluminium par bateau et deux navires vides sont immobilisés au port de La Baie alors qu’un troisième, plein celui-là, attend aux Escoumins de pouvoir entrer.
Rio Tinto dispose d’une certaine réserve d’inventaire, mais pas pour une période indéfinie et doit en plus payer des frais importants pour les bateaux immobilisés.
«Ce n’est pas la première année qu’il fait froid, que le Saguenay gèle et que les brise-glaces s’en vont, mais nous, on a besoin d’un service continu», fait valoir Mme Gagnon, ajoutant que «ce n’est pas la première fois que ça arrive dans les dernières années».
Ottawa: encore des achats d’usagés?
«Ça prend des brise-glaces neufs et puissants et il faut renouveler la flotte», affirme sans détour la présidente-directrice générale de la SODES (Société de développement économique du Saint-Laurent), Nicole Trépanier.
Mme Trépanier, dont l’organisme regroupe notamment les armateurs, associations de pilotes, administrations portuaires, grands clients industriels et autres acteurs impliqués dans l’économie du fleuve, rappelle que des mémoires ont été présentés au gouvernement fédéral à cet effet il y a deux ans.
«Présentement, sur le Saint-Laurent, il y a normalement quatre brise-glaces, mais en moyenne on travaille avec trois et ils ne sont pas tous de puissance égale. Il faut un nombre minimal de six brise-glaces pour entretenir la zone du Golfe, du Saguenay et du Saint-Laurent et c’est ce que nous demandions dans le mémoire: six navires neufs, efficaces», martèle la gestionnaire.
«Mais là, on nous dit qu’on vise à prolonger l’espérance de vie des navires qui sont déjà en service», s’insurge-t-elle au bout du fil, soulignant que les navires de la flotte actuelle de la Garde côtière ont «40 ans d’âge moyen».
«On parle d’un axe commercial — le fleuve — qui est vital et c’est comme si on ne se posait pas la question: est-ce qu’il faut l’entretenir et le maintenir ouvert?»