WASHINGTON — Le débat sur le droit à l’avortement aux États-Unis reviendra vraisemblablement en Cour suprême – cette fois pour régler une impasse judiciaire fédérale.
Deux décisions concurrentes rendues la semaine dernière sur la pilule abortive mifépristone, l’une au Texas et l’autre dans l’État de Washington, ont remis l’avortement sur le devant de la scène aux États-Unis.
La Cour suprême pourrait être invitée à intervenir dès vendredi.
Certains au Canada se préparent aux retombées possibles, mais tout le monde ne retient pas son souffle.
«Les Canadiens adorent dire que cette affaire aura un effet dissuasif, analyse Kelly Gordon, professeur de politique et spécialiste du droit à l’avortement à l’Université McGill. J’ai un point de vue différent sur la question.»
En juin dernier, la Cour suprême des États-Unis a décidé d’annuler «Roe c. Wade», l’arrêt historique de 1973 qui a fait de l’avortement un droit fédéral aux États-Unis.
Certains ont alors prédit une ruée vers la frontière canado-américaine, mais cela ne s’est jamais produit, mentionne M. Gordon. En partie parce que l’arrêt de la Cour suprême a redonné aux États la possibilité de fixer leurs propres règles, ce qui s’est traduit par une mosaïque de restrictions et de droits divers.
Pour de nombreuses Américaines, obtenir un avortement dans un État où il est encore accessible, comme la Californie, New York ou le Minnesota, est une bien meilleure option que de se rendre au nord de la frontière, fait valoir le professeur.
À Ottawa, la réaction prévisible du gouvernement libéral fédéral a été la promesse de défendre le droit à l’avortement au Canada et d’allouer des fonds supplémentaires aux groupes qui s’efforcent d’améliorer l’accès à ces services.
Au Canada, indique M. Gordon, «il y a presque une sorte de contrecoup de ce qui se passe aux États-Unis, et non une suite de ce qui s’y passe».
La controverse sur la mifépristone, qui a éclaté vendredi à la suite de deux décisions de tribunaux fédéraux rendues à moins d’une heure d’intervalle, illustre parfaitement les clivages politiques que l’avortement tend à mettre en évidence aux États-Unis.
Tout d’abord, un juge du Texas a invalidé l’approbation par l’Agence des aliments et des médicaments (FDA) de la mifépristone, dans le cadre d’un procès en cours dans cet État pour contester la sécurité du médicament et la procédure utilisée pour l’approuver.
Peu de temps après, une décision distincte dans l’État de Washington ordonne en fait à la FDA de maintenir son approbation.
La décision du Texas devrait entrer en vigueur vendredi, mais une procédure d’appel est en cours.
Un mémoire d’amicus curiae a été déposé mardi par des représentants de l’industrie pharmaceutique dans le cadre de cette procédure d’appel. Ils décrivent la décision du juge comme un moyen de paralyser la capacité du gouvernement fédéral à protéger et soutenir ses citoyens.
Il est impossible pour le moment de savoir comment le débat pourrait évoluer et s’il entraînerait une hausse soudaine de la demande de médicaments abortifs au nord de la frontière.
Les patientes américaines ne peuvent obtenir au Canada que des médicaments qui ont été approuvés par la FDA, précise Joyce Arthur du Conseil canadien pour le droit à l’avortement.
Mais à ce stade, l’Association des pharmaciens du Canada ne tient rien pour acquis, a affirmé Joelle Walker, vice-présidente des affaires publiques et professionnelles de l’association.
L’association reste à l’affût de tout ce qui pourrait provoquer un flux de la demande étrangère pour certains médicaments. L’Ozempic, un médicament contre le diabète qui est devenu un traitement amaigrissant, en est un exemple récent.
«Si la mifépristone fait l’objet d’une restriction aux États-Unis, la tendance naturelle est peut-être de chercher à s’approvisionner au Canada», avance Mme Walker.
«Si l’offre d’un médicament qui n’est pas disponible aux États-Unis est limitée, notre préoccupation ou notre inquiétude est que si (la demande) augmente au Canada, nous voulons nous assurer qu’il y en a suffisamment pour les Canadiens», ajoute-t-elle.
Mme Arthur s’inquiète davantage de savoir si les forces politiques américaines qui ont été à l’origine des récentes contestations judiciaires pourraient finir par se manifester au Canada.
Elle a décrit les manifestations du Convoi de la liberté à Ottawa l’année dernière comme une «sonnette d’alarme» pour tous ceux qui pensaient que le Canada serait à l’abri du type de divisions politiques et culturelles qui secouent actuellement les États-Unis.
«Le combat n’est jamais terminé. Ils essaieront toujours d’attaquer le droit à l’avortement par tous les moyens possibles et d’en réduire l’accès», a déclaré Mme Arthur.
L’expérience américaine, a-t-elle ajouté, «est une leçon pour nous, qui devons toujours être vigilants ici au Canada, et nous assurer que rien de tel ne se produira jamais ici».
Plus de la moitié des avortements pratiqués aux États-Unis sont provoqués par des médicaments, généralement la mifépristone associée à un autre médicament, le misoprostol. Ces deux médicaments sont vendus ensemble au Canada sous le nom de Mifegymiso.
Les experts médicaux insistent sur le fait que la mifépristone, dont l’utilisation a été approuvée il y a 23 ans, est sûre et moins sujette à des complications que des procédures de base telles que l’extraction de dents de sagesse et les coloscopies.
-Avec des informations de l’Associeted Press.