OTTAWA — Le débat autour de l’envoi d’armes à l’Ukraine est considéré comme un «faux-fuyant» par des experts, qui affirment que le Canada peut soutenir de meilleures façons ce pays menacé.
Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé cette semaine que le Canada n’enverrait pas d’armes à l’Ukraine, pays d’Europe de l’Est qui est au centre d’une crise entre l’alliance militaire de l’OTAN et la Russie.
M. Trudeau a plutôt annoncé que le Canada prolongeait et élargissait sa mission de formation militaire en Ukraine, ce qui comprend le renforcement en matière de cyberdéfense contre les agressions russes. Il avait annoncé la semaine précédente un prêt de 120 millions $ consenti au gouvernement de Kiev.
M. Trudeau a refusé à plusieurs reprises d’expliquer la décision de ne pas envoyer d’armes mercredi, et des membres de l’influente communauté ukrainienne du Canada se grattaient encore la tête jeudi.
«Nous n’avons reçu aucun retour du gouvernement sur la décision», a déclaré Ihor Michalchyshyn, directeur exécutif du Congrès ukrainien canadien, qui a été l’une des voix les plus fortes appelant à la fourniture par le Canada d’armes à l’Ukraine.
«Tous nos alliés de l’OTAN le font. La situation a changé rapidement ces dernières semaines et ces derniers jours, heure par heure. Il est donc très difficile de comprendre pourquoi le Canada ne se joindra pas au Royaume-Uni, aux États-Unis et à d’autres (alliés de l’OTAN)», a-t-il fait valoir.
Alors que les experts en politique étrangère étaient divisés sur les raisons pour lesquelles le gouvernement libéral avait décidé de ne pas envoyer d’armes à Kiev, plusieurs étaient d’avis qu’un avion chargé d’armes canadiennes ne ferait probablement pas une grande différence quant à la menace d’une attaque de la Russie.
Le professeur de l’Université d’Ottawa, Roland Paris, qui a déjà été le premier conseiller en politique étrangère de Justin Trudeau, a déclaré que le débat au Canada sur l’opportunité de fournir des armes est devenu plus important que les avantages réels qui en seraient tirés.
«La livraison d’armes létales ne va pas changer la prépondérance écrasante des forces russes dans la région ni changer le fait que la Russie a la capacité de balayer l’Ukraine si elle est déterminée à le faire», a-t-il déclaré.
«Tout le débat sur les armes létales pour le gouvernement ukrainien est peut-être le moins important des divers outils disponibles pour (contrer la menace) d’une invasion russe», a ajouté l’expert.
M. Paris a plutôt souligné la menace de sanctions économiques comme une mesure de dissuasion plus efficace et a déclaré que ce qui enverrait vraiment un message serait si l’OTAN – y compris le Canada – renforçait sa présence militaire en Europe de l’Est.
Le Canada compte actuellement environ 540 soldats en Lettonie à la tête d’un groupement tactique de l’OTAN conçu pour se défendre contre une attaque russe dans les pays baltes. Il compte également 200 entraîneurs militaires en Ukraine, M. Trudeau ayant promis mercredi que 60 autres se joindraient au contingent.
Fen Hampson, professeur à l’Université Carleton, a également remis en question l’idée que le Canada fournisse des armes à l’Ukraine, notant que l’armée ukrainienne utilise un équipement différent de celui des Forces armées canadiennes, qui ont elles-mêmes du mal à s’acheter de nouveaux équipements.
«C’est peut-être un faux-fuyant», a-t-il dit, ajoutant que le soutien du Canada à la cyberdéfense ukrainienne était beaucoup plus important. «La cyberguerre est vraiment devenue une sorte de première ligne d’attaque où l’Ukraine peut avoir besoin d’aide», a-t-il fait valoir.
M. Trudeau a laissé la porte ouverte à un réexamen de la décision, mais l’annonce de mercredi a poursuivi la tendance d’Ottawa à refuser d’armer l’Ukraine à commencer par le gouvernement conservateur de Stephen Harper en 2014.
M. Harper a indiqué à l’époque que sa réticence à fournir des armes à l’Ukraine découlait davantage de son désir de travailler en collaboration avec les États-Unis, qui à ce moment n’envoyaient pas d’armes au pays.
Les conservateurs de l’opposition officielle ont critiqué la décision du gouvernement de Justin Trudeau de ne pas envoyer d’armes à l’Ukraine.
Le Canada n’est pas le seul membre de l’OTAN à ne pas envoyer d’armes. L’Allemagne a également déclaré qu’elle ne fournirait pas d’armes, ce qui aurait provoqué l’agacement et la consternation à Kiev et à Washington.