Le dilemme des militants face à la déclaration: «territoire autochtone non cédé»

Il est de plus en plus fréquent depuis 2015, au Canada, d’entendre au début d’une cérémonie une déclaration reconnaissant que l’on se trouve en «territoires autochtones non cédés». Mais certains militants se demandent s’il s’agit là d’une forme de réconciliation ou plutôt l’expression d’une hypocrisie institutionnelle.

En 2015, la Commission de vérité et réconciliation avait conclu que ces déclarations pourraient aider à promouvoir la réconciliation nationale avec les Autochtones. Depuis l’élection des libéraux de Justin Trudeau, ces déclarations sont devenues la norme au début des annonces et des événements fédéraux. Ces déclarations préliminaires de reconnaissance sont devenues de plus en plus fréquentes au début de la journée d’école, de conférences, de cérémonies et autres événements officiels, sportifs ou culturels.

L’Orchestre symphonique de la Nouvelle-Écosse rappelle par exemple dans le programme de ses concerts à Halifax que le spectacle est donné en Mi’kma’ki, territoire ancestral et non cédé du peuple mi’kmaq. Les Jets de Winnipeg, de leur côté, annoncent qu’ils jouent au hockey sur des territoires autrefois utilisés par les peuples Anishinaabe, les Cris, les Oji-Cri, les Dakota et les Dénés, ainsi que par la nation métisse.

Pour certains, il s’agit là d’une formidable évolution culturelle. Mais pour d’autres, ces messages peuvent se réduire à des gestes symboliques fallacieux — une façon, pour le colonisateur, d’apaiser les Premières Nations sans adopter de mesures concrètes.

Lynn Gehl, une Algonquine anishinaabe-kwe de la vallée de la rivière des Outaouais, estime que le geste a perdu tout son sens, qu’il est même condescendant — comme quelqu’un qui s’excuse, mais ne change rien.

Malgré tout, Mme Gehl a rédigé sa propre reconnaissance territoriale, à prononcer avant un événement en territoire algonquin; elle admet que ces déclarations officielles présentent tout de même des avantages en termes d’éducation populaire.

Une pratique traditionnelle

Mme Gehl résume à elle seule un dilemme auquel sont confrontés de nombreux militants autochtones.

Les défenseurs des droits de la personne affirment que de telles déclarations — enracinées dans une pratique autochtone traditionnelle remontant à plusieurs générations — témoignent d’un respect pour les peuples qui ont habité ce territoire pour la première fois, et aident à éduquer les gens sur les répercussions historiques de la colonisation, encore aujourd’hui.

«Cela pousse les gens à se rendre compte que pendant plus de 150 ans, les peuples autochtones ont été marginalisés et poussés aux confins de la société, empêchés de participer à leurs propres activités de subsistance traditionnelles ou de profiter de la richesse que beaucoup de Canadiens ont tirée de ces terres», explique Naiomi Metallic, professeure de droit à l’Université Dalhousie et titulaire de la chaire de recherche en droit et politiques autochtones. Elle soutient qu’il s’agit là d’une reconnaissance des faits «relativement peu controversée», en particulier dans les territoires non cédés par un traité.

Mais d’autres suggèrent que les peuples autochtones pourraient se servir de cette reconnaissance pour faire valoir leur droit juridique sur le territoire. Or, les opposants craignent que l’admission d’un «territoire non cédé» puisse laisser croire que les peuples autochtones sont propriétaires du territoire, et qu’ils pourraient le récupérer à tout moment. Un argument que rejette Naiomi Metallic, qui a grandi dans une communauté mi’kmaq en Gaspésie. «Un tribunal canadien ne dira jamais: ‘OK, c’est un titre autochtone et tous les gens d’ascendance européenne doivent partir», a-t-elle déclaré.

Mais Frances Widdowson, professeure à l’Université Mount Royal de Calgary, estime que si ces territoires ne sont jamais restitués aux peuples autochtones, alors ces déclarations solennelles constituent de la poudre aux yeux. «C’est un jeu très dangereux, parce que cela crée des attentes qui ne correspondent pas à la réalité.»