Le directeur général de l’INRS s’inquiète de la réforme du PEQ

MONTRÉAL — Les nouvelles règles du Programme d’expérience québécoise (PEQ) obligeront le Québec à se battre avec une «main attachée dans le dos» pour attirer les meilleurs cerveaux vers ses établissements d’enseignement supérieur, craint le directeur général de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).

En date du 1er novembre, le gouvernement a resserré le PEQ, qui permettait à tous les étudiants étrangers titulaires d’un diplôme admissible ou aux personnes avec une expérience de travail au Québec de recevoir rapidement un certificat de sélection du Québec, et ainsi de pouvoir s’installer ici.

Or dorénavant, seuls sept programmes de doctorat, 24 de maîtrise, 54 de baccalauréat et 59 diplômes d’études collégiales font partie d’une liste qui sera révisée chaque année, en fonction des besoins du marché du travail.

Luc-Alain Giraldeau craint maintenant de voir les meilleurs candidats tout simplement décider d’aller travailler ailleurs.

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Comment réagissez-vous à cette réforme?

Je pense que c’est une réforme qui a été pensée de façon très, très étroite, dans un contexte d’immigration, sans vraiment réfléchir à l’ensemble de la problématique. Ces gens-là sont des étudiants et des travailleurs qui viennent contribuer à la société, à l’avancement des connaissances, il y en a qui migrent ici… Ils ne restent pas tous, mais ceux qui restent sont des gens extrêmement formés. Alors ce projet-là semble s’inquiéter d’un faux problème, d’un problème de surqualification de ces étudiants-là, il ne faut pas les surqualifier alors on ne va pas leur permettre de rester au Québec s’ils ont fait une maîtrise ou un doctorat. Alors que le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur met de côté des enveloppes considérables et des incitatifs importants pour financer les universités et pour accroître le nombre d’étudiants étrangers dans les universités. Et le ministre de l’Économie et de l’Innovation, M. Fitzgibbon, fait des pieds et des mains pour stimuler l’innovation et l’entrepreneurariat au Québec. Cette mesure vient non seulement en contradiction avec les incitatifs du ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, mais aussi avec les efforts de M. Fitzgibbon. Elle n’a pas vraiment de sens.

Quelles sont les répercussions que vous redoutez?

En ce moment, tous les pays industrialisés sont en compétition pour attirer des cerveaux, pour attirer les meilleurs dans leurs universités, même si ce n’est que pour quelques années, pour qu’ils participent à la création de connaissances qui peuvent ultimement mener à l’enrichissement de la société, à l’innovation. Nous sommes tous en compétition les uns contre les autres. Le PEQ nous donnait un avantage, ou à tout le moins on se battait à armes égales avec par exemple l’Ontario et d’autres, et là on vient de perdre cet avantage-là. Alors ça veut dire que quand nous sommes en compétition pour attirer le meilleur professeur, le meilleur stagiaire postdoctoral, le meilleur étudiant de doctorat, on a une main attachée derrière le dos par rapport à nos compétiteurs. Aux cycles supérieurs, où c’est là qu’on produit vraiment les innovateurs de demain, il y a 60 pour cent des étudiantes et des étudiants qui sont de l’étranger, souvent dans les facultés de science et de génie. À l’INRS, 63 pour cent de tous mes étudiants sont de l’étranger. Et de tous les programmes que j’offre au doctorat et à la maîtrise, il n’en reste que deux qui sont inclus dans la liste actuelle: une maîtrise en sciences de l’eau et une maîtrise en sciences de l’énergie. Pensez-y! Ça veut dire qu’une partie importante des étudiants qui viennent ici auraient peut-être choisi d’aller ailleurs. Mais ceux qui cherchent peut-être à s’installer au Québec et faire profiter notre société de leur talent et de leur créativité, alors eux autres, on aura beaucoup de misère à les retenir et même à les attirer.

Est-ce que le Québec, en tant que société où on peut étudier et faire de la recherche en français, a particulièrement besoin d’un programme comme celui-là?

Ce n’est pas autant le fait que nous sommes francophones que le fait qu’il semble y avoir un manque d’appétit de la part des Québécois francophones résidants pour les études supérieures. Nous sommes encore en grand rattrapage par rapport au reste du monde occidental, et même du Canada. Si on regarde les taux de diplomation au Québec, on est encore derrière nos compétiteurs de l’Ontario, et on n’est pas en tête de liste au Canada. Donc on a un certain rattrapage (à faire) et parce qu’on a moins de personnes déjà citoyennes canadiennes qui vont aux cycles supérieurs au Québec, on a absolument besoin de cet apport qui vient de l’étranger. Mais on veut les meilleurs!

On ne veut pas attirer simplement pour attirer. On veut les bons candidats.

Exactement, et je pense que c’est ce qu’on réussit à faire. Ce n’est pas seulement à Montréal qu’on les attire, mais partout et c’est tant mieux, parce que le génie minier en Abitibi-Témiscamingue ou les sciences forestières, tout ça profite de ces gens qui viennent de partout dans le monde pour venir étudier chez nous et dont une certaine partie, parce qu’ils se sont intégrés, parce qu’ils parlent français, parce qu’ils aiment bien le Québec, s’intègrent au Québec et choisissent de faire leur vie ici. Et c’est tant mieux! On a investi de l’argent dans notre système d’éducation pour former des gens qui vont faire profiter pendant 30 ans la société québécoise de leur savoir et de leur formation.

Il risque d’y avoir un effet domino. S’il y a moins de diplômés sur le marché du travail, les entreprises auront plus de difficulté à trouver l’expertise dont elles ont besoin.

La caractéristique en ce moment de notre économie est qu’on a beaucoup de mal à prévoir de quoi nous aurons besoin dans cinq ou dix ans. C’est très difficile. Les formations universitaires (…) donnent une polyvalence. Quelqu’un qui sort avec un doctorat a certainement une grande connaissance dans un domaine précis, mais souvent ces gens-là sont ceux qui vont partir un «start up», qui vont créer des entreprises, qui finissent par avoir une idée, qui font faillite une fois, qui recommencent une deuxième fois… Ces gens-là sont le coeur même de l’innovation et de l’avenir. Avec un doctorat, ce sont des gens hyper qualifiés, mobiles, capables de s’adapter aux besoins de la société dans cinq ou dix ans. Je suis heureux que le ministre ait ouvert à de nouveaux programmes de niveau cégep et technique le PEQ, je pense que c’est une excellente initiative, mais je ne vois pas ce qu’il gagne à éliminer presque tous les programmes de maîtrise et de doctorat du PEQ. Je ne vois pas le gain qui est fait.

Est-ce que tout ceci est le fruit de discussions que vous avez eues avec vos collègues d’autres établissements d’enseignement supérieur?

Je pense n’avoir jamais vu une si grande unanimité entre les chefs d’établissements universitaires. Tous les chefs d’établissement, les recteurs, les directeurs d’école, les directeurs généraux, la principale de McGill, tout le monde semble tout à fait d’accord avec les problèmes soulevés par ce changement-là, et s’y opposent. Même le monde des affaires, les chambres de commerce, les associations étudiantes, les professeurs d’université… C’est rare qu’on voie des recteurs d’université, des professeurs et des associations étudiantes unanimes, avec la même position! Alors oui, ce que j’exprime là, il y a peut-être des variantes, mais c’est consensuel dans tout le monde de l’éducation et le monde des affaires. On est tous d’accord pour dire que cette modification à ce programme-là est une erreur qui va coûter très cher au Québec à moyen terme.