Le pape se rend en Irak: voici quelques explications

Le pape François va de l’avant avec la première visite papale en Irak malgré une hausse des infections au coronavirus, dans l’espoir de donner un nouveau souffle à une petite communauté chrétienne gravement persécutée sous le règne de Daech et de renforcer les liens avec l’islam chiite.

La sécurité sera une considération de tous les instants pendant la visite du 5 au 8 mars, compte tenu de la présence de milices chiites rebelles et de récentes attaques à l’explosif.

Le pape François, qui adore prendre des bains de foule et se déplacer à bord de sa papemobile, devrait plutôt cette fois-ci voyager à bord d’un véhicule blindé et être accompagné de plusieurs gardes du corps. Le Vatican espère que cela protégera le pape, tout en l’éloignant de foules potentiellement contagieuses.

Sa visite représente l’aboutissement de vingt ans d’efforts pour qu’un pape puisse visiter la terre natale du prophète Abraham, qui est central à la chrétienté, à l’islam et au judaïsme. Une visite prévue par Jean Paul II en 1999 avait été annulée.

«On ne peut pas décevoir la population une deuxième fois», a dit le pape mercredi, en demandant des prières pour le voyage.

Ce déplacement donnera au pape — et au monde — une vue rapprochée des dommages infligés pendant le règne de Daech entre 2014 et 2017; des centaines de maisons et d’églises chrétiennes ont été détruites dans le nord du pays, et des dizaines de milliers de membres de minorités religieuses, dont des chrétiens, ont fui le pays.

Le pape profitera de ce voyage pour rencontrer le plus important dirigeant chiite d’Irak, le grand ayatollah Ali al-Sistani, qui est respecté en Irak et à l’étranger.

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QUELLE EST LA SITUATION SANITAIRE EN IRAK?

L’Irak est actuellement le théâtre d’une hausse du nombre de cas de coronavirus, et le nombre de nouvelles infections s’approche des sommets vus lors de la première vague.

Le pape François évite depuis des mois même les rassemblements les plus modestes au Vatican, et on se demande donc pourquoi il exposera les Irakiens à une infection potentielle. Le pape, la délégation du Vatican et les journalistes qui l’accompagnent ont été vaccinés, mais peu d’Irakiens ordinaires l’ont aussi été.

Le Vatican réplique que la visite a été conçue pour limiter la taille des foules et que des mesures sanitaires seront en vigueur. Malgré cela, 10 000 billets sont disponibles pour la messe en plein air dans un stade d’Irbil qui marquera la fin du voyage.

Le porte-parole Matteo Bruni a dit que la chose importante est que les Irakiens pourront voir le pape à la télévision et qu’ils sauront que «le pape est là pour eux, avec comme message qu’il est possible de garder espoir même dans les situations les plus complexes».

Il a reconnu que la visite pourrait avoir des conséquences, mais ajoute que le Vatican a soupesé ces risques face aux besoins des Irakiens de ressentir «l’amour du pape».

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COMMENT LES CHRÉTIENS RÉAGIRONT-ILS AU MESSAGE INTERCONFESSIONNEL DU PAPE?

Avant que Daech ne capture de vastes portions du nord de l’Irak, le père Karam Shamasha veillait sur 1450 familles dans sa ville natale de Telskuf, à une trentaine de kilomètres au nord de Mossoul. Aujourd’hui, sa paroisse catholique chaldéenne ne compte plus que 500 familles, témoignant de l’exode des chrétiens qui ont fui les djihadistes et ne sont jamais revenus.

Le père Shamasha assure que le pape François sera bien accueilli par ceux qui sont restés, même si son message d’harmonie interconfessionnelle est parfois difficile à entendre pour des chrétiens irakiens qui ont été persécutés pendant des décennies par la majorité musulmane, bien avant Daech.

«Les premiers qui sont venus dévaliser nos maisons sont nos voisins (musulmans)», a dit le père Shamasha aux journalistes avant la visite papale.

Même avant Daech, a-t-il ajouté, quand une famille chrétienne construisait une nouvelle maison, les voisins musulmans disaient parfois, «’Très bien, très bien, parce que vous construisez une maison pour nous’, parce qu’ils pensent ou croient qu’ultimement les chrétiens disparaîtront d’ici et que les maisons seront à eux», a-t-il dit.

Le pape François se rend en Irak spécifiquement pour encourager ces chrétiens à persévérer et à rester sur place, pour leur rappeler qu’ils ont un rôle important à jouer dans la reconstruction de l’Irak.

Le nombre de chrétiens en Irak serait passé de 1,4 million en 2003 à environ 250 000 aujourd’hui.

Lors de son arrivée à Bagdad, François rencontrera des prêtres, des séminaristes et des religieuses dans la cathédrale où des islamistes ont massacré 58 personnes en 2010, ce qui était à ce moment la pire tuerie de chrétiens depuis l’invasion américaine de 2003.

Lors de sa dernière journée complète en Irak, le pape priera sur une place de Mossoul entourée de quatre églises détruites et il visitera une autre église, celle-là dans la ville de Qaraqos, qui a été reconstruite pour témoigner des espoirs pour l’avenir de la chrétienté à cet endroit.

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POURQUOI FRANÇOIS RENCONTRERA-T-IL LE GRAND AYATOLLAH?

Un des faits saillants du voyage de François sera sa rencontre avec le grand ayatollah al-Sistani, dont l’appel lancé en 2014 a permis aux milices chiites qui ont éventuellement défait Daech de recruter de nouveaux combattants.

Le pape tente depuis plusieurs années d’améliorer ses relations avec les musulmans. Il a signé un document sans précédent sur la fraternité humaine en 2019 avec un important leader sunnite, le cheik Ahmed el-Tayeb, le grand imam d’Al-Azhar, le siège du savoir sunnite au Caire.

On ne prévoit pas ajouter la signature du grand ayatollah al-Sistani, qui a 91 ans, au document. Mais le simple fait que la rencontre ait lieu est très important, a dit Gabriel Said Reynolds, qui enseigne la théologie et les études islamiques à l’Université de Notre-Dame.

«C’est difficile de ne pas penser que c’est en lien avec sa relation avec Ahmed el-Tayeb», a dit M. Reynolds, qui rappelle le rôle religieux, politique et intellectuel de premier plan que joue le grand ayatollah en Irak et à l’étranger.

«Je pense qu’ils auront plusieurs sujets de discussion», a-t-il dit.

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QUELLES SONT LES PRÉOCCUPATIONS LIÉES À LA SÉCURITÉ?

La sécurité en Irak était préoccupante bien avant qu’une bombe de Daech n’explose dans un marché de Bagdad le 21 janvier, faisant au moins 32 morts.

Les inquiétudes n’ont fait qu’augmenter depuis une récente série d’attaques à la roquette contre des cibles américaines. Au moins dix attaques du genre ont été lancées mercredi. Les États-Unis blâment les milices chiites.

Ces mêmes groupes, qui ont pris de la force après l’appel du grand ayatollah al-Sistani, sont accusés de terroriser les chrétiens pour les empêcher de rentrer chez eux. Des responsables craignent qu’ils ne lancent des attaques à Bagdad et ailleurs pour témoigner de leur mécontentement face à la rencontre entre les deux chefs religieux.

Quand on lui demande si cette 33e visite du pape à l’étranger est sa plus dangereuse, M. Bruni reste diplomate.

«Je ne voudrais pas faire une comparaison du niveau de danger, mais je dirais que c’est certainement une des plus intéressantes», a-t-il dit.

– Par Nicole Winfield, The Associated Press