MONTRÉAL – Le «Printemps érable» de 2012 n’aurait peut-être jamais eu lieu si le gouvernement libéral de Jean Charest avait accepté de rencontrer les associations étudiantes après leur première manifestation contre la hausse des droits de scolarité, le 10 novembre 2011.
C’est ce qu’a laissé entendre l’ex-présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), Martine Desjardins, lundi, pendant son témoignage devant la Commission spéciale d’examens des événements du printemps 2012.
«Les grèves n’auraient probablement pas eu lieu, a-t-elle laissé tomber, au terme de son témoignage. Les manifestations ne se seraient pas passées.
«En situation de crise, il n’est pas courant de voir un gouvernement se cacher.»
L’ex-présidente de la FEUQ était la première personne à être entendue par les commissaires Serge Ménard, Claudette Carbonneau et Bernard Grenier, qui se penchent sur les événements qui ont entouré la crise étudiante résultant de la volonté du gouvernement Charest de hausser les droits de scolarité de 1625 $ sur cinq ans.
«Il doit y avoir une façon de faire pour éviter qu’un gouvernement puisse faire la sourde oreille aussi longtemps», a affirmé Mme Desjardins, faisant référence au refus du gouvernement de l’époque de répondre aux revendications des étudiants.
Selon l’ex-présidente de la FEUQ, le point tournant du «Printemps érable» a été l’imposition de la loi 12, en mai 2012, par les libéraux de Jean Charest afin de notamment encadrer les manifestations.
«Ça a élargi la contestation, qui n’était pas seulement étudiante, mais citoyenne», a observé Mme Desjardins.
Pour l’ex-leader étudiante, la contestation, qui montrait alors certains signes d’essoufflement, a repris de plus belle par la suite.
Elle a également identifié d’autres «provocations» du gouvernement Charest, notamment lors du dépôt du budget de 2011.
Selon Mme Desjardins, un représentant du cabinet de la ministre de l’Éducation avait affirmé à certains leaders étudiants présents lors du dépôt du budget qu’ils «ne se soulèveront pas pour cela» et que la hausse des droits de scolarité n’était «pas si pire».
«Ça beaucoup servi dans la mobilisation étudiante, a dit l’ex-présidente de la FEUQ. Lorsque vous rappelez cet épisode dans une assemblée générale de quelques milliers d’étudiants, vous avez un vote positif.»
Mme Desjardins a également confié à quel point le conflit étudiant avait pris de l’ampleur avec le temps, affirmant avoir été la cible de menaces de mort.
«Je ne le savais pas jusqu’à tout dernièrement, a-t-elle dit, parce que c’était mon vice-président (à la FEUQ) qui recevait des appels des policiers lui disant de ne jamais me laisser.»
Quant aux arrestations massives réalisées par certains corps policiers, Mme Desjardins a laissé entendre qu’elles étaient survenues pour que le gouvernement puisse faire mal paraître le mouvement étudiant.
L’ex-présidente de la FEUQ a fait référence à la violente manifestation de Victoriaville, en mai 2012. «Ma seule crainte, c’était que quelqu’un meure, a-t-elle dit. Tu ne peux plus continuer à manifester quand vous avez un mort sur la conscience.»
Un lien de confiance fragile
En lever de rideau, le président de la commission, l’ex-ministre péquiste Serge Ménard, a souligné que la crise étudiante semblait avoir provoqué une importante crise de confiance du public à l’endroit de la police.
Au cours de son allocution d’ouverture, M. Ménard a affirmé que le public semblait sceptique «face à l’efficacité du mécanisme de déontologie et de poursuites disciplinaires ou criminelles contre les policiers».
L’ex-ministre péquiste a notamment rappelé qu’uniquement à Montréal, entre février et septembre 2012, il y aurait eu 532 manifestations, impliquant quelque 750 000 manifestants, qui ont donné lieu à 2255 arrestations.
Le rapport de M. Ménard, de l’ex-présidente de la CSN Claudette Carbonneau ainsi que du juge à la retraite Bernard Grenier doit être remis avant le 20 décembre.
Cette initiative du gouvernement Marois a été vivement critiquée, notamment par certaines associations étudiantes et la Fraternité des policiers de Montréal, qui a indiqué son refus de témoigner.
Le président du syndicat de policiers, Yves Francoeur, n’a pas tardé à condamner les propos de M. Ménard dans son allocution, affirmant que cela démontrait que les conclusions du rapport de l’ex-ministre péquiste sont déjà écrites.
«Il (M. Ménard) entérine les raisons pour lesquelles la Fraternité refuse toujours de participer à cette commission bidon», a-t-il souligné, par voie de communiqué.
De son côté, Mme Desjardins dit avoir des réserves quant au mandat de la commission, mais a justifié sa présence en affirmant qu’elle voulait profiter des «petites chances» de modifier ce qui l’a dérangé.
Paul Bélanger, un enseignant à l’Université du Québec à Montréal, de Sylvie Joly, conseillère syndicale à la CSN, ainsi que de Chad Walcott, un étudiant à l’Université Concordia, ont complété la journée de témoignages.
D’autres témoins, dont le directeur de la Sûreté du Québec, Mario Laprise, ainsi que le directeur du Service de police de la ville de Montréal, Marc Parent, doivent être entendus cette semaine.