Le procès de la pétrolière Gastem contre la ville de Ristigouche-Sud-Est s’ouvrira mardi en Cour supérieure, à New Carlisle, et le maire de la petite municipalité gaspésienne de 157 habitants se dit «confiant» de sa défense.
Gastem poursuit la municipalité pour la somme de 1,5 million $ concernant un règlement sur la protection de l’eau potable, qui bloque ses projets d’exploration pétrolière. L’entreprise juge qu’elle doit être indemnisée en bonne et due forme pour toutes les dépenses qu’elle avait engagées.
Le montant réclamé par l’entreprise représente 11 fois les revenus de taxation de la petite municipalité de 157 habitants, qui a lancé une campagne de sociofinancement pour pouvoir se défendre en cour. Jusqu’à maintenant, elle a amassé environ 85 pour cent de son objectif de 328 000 $, soit 282 000 $, selon le maire de Ristigouche-Sud-Est, François Boulay.
Si la municipalité n’arrive pas à cet objectif, elle devra aller piger dans ses surplus. Mais si elle est contrainte à payer le montant réclamé par l’entreprise, elle risque la faillite technique.
Le litige remonte en 2013. Ristigouche-Sud-Est a adopté cette année-là un règlement qui interdit d’introduire dans le sol «toute substance susceptible d’altérer la qualité de l’eau souterraine ou de surface servant à la consommation humaine ou animale, et ce, dans un rayon de deux kilomètres de tout puits artésien ou de surface desservant vingt personnes ou moins».
La municipalité estime qu’elle avait le droit d’adopter un règlement pour protéger ses sources d’eau potable, d’autant plus que le projet de Gastem ne satisfaisait pas aux critères d’acceptabilité sociale, selon le maire.
Mais l’entreprise avait déjà obtenu un permis de forage du ministère des Ressources naturelles en 2012, et le nouveau règlement municipal l’empêchait de poursuivre ses activités.
En entrevue avec La Presse canadienne, le président et chef de la direction de Gastem, Raymond Savoie, a rappelé que son entreprise avait entamé des travaux préparatoires dans la région et avait engagé de nombreuses dépenses.
M. Savoie a affirmé que Gastem ne croyait pas que ses droits acquis seraient remis en question par le règlement de la Ville.
M. Savoie n’a pas voulu s’avancer à savoir si la municipalité allait être en mesure de payer la somme que l’entreprise réclame, mais il souhaite au moins obtenir une reconnaissance des «droits acquis».
«On va voir ce qui va en résulter, du procès, mais au moins (on) veut faire reconnaître (nos droits acquis).»
En entrevue, le maire de Ristigouche-Sud-Est rappelle que la municipalité n’a pas eu son mot à dire dans l’autorisation du permis, qui affecte directement ses citoyens.
Et selon lui, si Gastem avait fait sa demande de permis aujourd’hui avec un tel projet, elle ne l’aurait pas obtenu. Le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection du gouvernement québécois — adopté en 2014, après celui de Ristigouche-Sud-Est — prévoit une distance minimale de 500 mètres entre une source d’eau potable et un puits gazier ou pétrolier. Or, selon M. Boulay, Gastem prévoyait ériger des puits à environ 250 mètres de la rivière Kempt.
«Le gouvernement, avec ce règlement-là, en principe, nous a donné raison. S’il avait été adopté avant d’émettre le permis, Gastem n’aurait pas eu l’opportunité de s’installer là où elle s’est installée, ce qui avait lancé l’inquiétude des citoyens par rapport à leur source d’eau potable», a-t-il expliqué en entrevue.
Appui de l’UMQ
L’Union des municipalités du Québec (UMQ) a appuyé publiquement et financièrement les démarches de Ristigouche-Sud-Est, puisqu’elle juge que les gouvernements municipaux doivent avoir le droit de protéger leurs sources d’eau potable.
«L’enjeu, c’est: est-ce que les municipalités à l’avenir vont se faire bâillonner par des procédures judiciaires de grandes corporations?», a souligné en entrevue le président de l’UMQ, Bernard Sévigny.
Selon M. Sévigny, l’argument financier de Gastem ne tient pas la route, puisqu’il se mesure à l’intérêt public. «Est-ce que, parce qu’on engage des sommes comme corporation, ça donne le droit d’être à l’abri de tout cadre règlementaire? On imagine très bien que les élus, la raison pour laquelle ils ont voulu protéger des sources d’eau potable, ce sont des raisons d’intérêt public», a-t-il indiqué.
«Est-ce qu’une compagnie qui engage des fonds sur un projet qui vient mettre à risque une source d’eau potable ou toute autre infrastructure municipale, est-ce qu’on laisse aller parce qu’il a commencé à investir?»
Qui doit décider?
Les règlements contenus dans la loi provinciale ont préséance sur les mesures adoptées au niveau municipal, ce à quoi veut s’attaquer la députée de Québec solidaire, Manon Massé.
La députée montréalaise a déposé un projet de loi en juin dernier qui permettrait aux municipalités d’adopter leurs propres règlements, qu’ils soient identiques ou plus contraignants, par rapport aux normes provinciales.
«L’eau, c’est la vie. Et une municipalité qui veut protéger ses puits artésiens, ses aqueducs, et ses puits d’eau, c’est sa responsabilité de le faire», a-t-elle déclaré en entrevue.
«On trouve complètement illogique à Québec solidaire, qu’en matière de protection de l’eau, les compagnies pétrolières et gazières aient le dessus sur les municipalités.»
M. Sévigny est d’accord à conférer «un maximum» d’autonomie aux villes, mais il ne semble pas nécessairement ouvert à leur donner l’entière responsabilité de trancher sur des projets qui rapporteront des revenus à toute la province.
«Il y aurait peut-être lieu à baliser ça. Il faut trouver une zone de confort pour les uns et les autres et je pense que c’est possible de le faire», a-t-il soutenu.