WASHINGTON — Donald Trump a trouvé en William Barr, le procureur général des États-Unis, un allié puissant pour semer le doute sur la légitimité de l’élection présidentielle à venir.
M. Barr a sonné l’alarme à plusieurs reprises en vue du scrutin de novembre, en dépit de l’absence de preuves voulant que le processus soit vicié.
Ses commentaires sont lourds de sens — et déconcertants pour les démocrates —, car M. Barr n’est pas un membre ordinaire du cabinet. En tant que dirigeant du département de la Justice, il peut orienter les enquêtes sur l’ingérence et la fraude électorale.
Bien que son département ne supervise pas les élections, il pourrait intervenir dans des batailles judiciaires sur des courses contestées. Et toute déclaration venant du plus haut responsable des forces de l’ordre qui remet en question les résultats des élections pourrait ébranler davantage la confiance du public, au moment où elle est déjà fragilisée par la désinformation.
«Ceux qui pensent que Barr veille sur les intérêts de Trump plutôt que sur les intérêts du pays ont des raisons de s’inquiéter qu’il instrumentalise le pouvoir d’enquête du département de la Justice pour aider Trump au moins politiquement, sinon légalement, dans une contestation post-élection», analyse Richard Hasen, un expert en droit électoral de l’Université de Californie à Irvine.
Les préoccupations des démocrates et des experts en la matière sont exacerbées par le fait que M. Barr est considéré comme dévoué au président, attaché aux vastes pouvoirs de la branche exécutive et très critique de l’enquête du FBI sur l’ingérence russe lors des dernières élections.
Les commentaires de M. Barr s’alignent avec les efforts de Donald Trump et de sa campagne, qui présentent le vote par correspondance comme truffé de failles et qui préparent potentiellement le terrain à une contestation des résultats électoraux.
Les recherches contredisent pourtant l’idée selon laquelle la fraude constitue un problème insidieux dans le processus de vote par correspondance. Les services de renseignement américain disent ne pas disposer d’informations suggérant que certaines des craintes de M. Barr seraient sur le point de se concrétiser, comme la contrefaçon de bulletins de vote par les adversaires politiques de l’administration Trump.
L’influence potentielle du département de la Justice sur une élection demeure très limitée. Le gouvernement fédéral ne gère ni le vote ni de nombreux processus électoraux cruciaux tels que le dépouillement.
Bien que le département puisse traduire en justice les cas de fraude électorale, il n’est pas habilité à décider quels votes comptent et lesquels ne comptent pas. Il ne peut pas non plus intervenir dans une élection locale contestée et déclarer un vainqueur, relève Justin Levitt, professeur à la Loyola Law School et ancien responsable du département de la Justice sous l’administration Obama.
Même s’il est théoriquement sans recours face à l’issue du vote du 3 novembre prochain, M. Barr peut très bien se tourner vers les stations de radio et les réseaux de télévision pour miner la confiance dans les résultats électoraux, prévient M. Levitt.
Et en cas de contestation par une campagne qui se croit lésée, le département de la Justice pourrait essayer d’intervenir ou déposer un mémoire en appui. Une telle démarche aurait peu d’impact pour les tribunaux, mais aurait une forte valeur symbolique.
Le fait de devoir attendre qu’une campagne intente une action en justice «ne constitue pas un énorme obstacle pour que le département de la Justice puisse jouer un rôle très actif dans le litige», estime le professeur de droit de l’Université de New York Richard Pildes.
Avant que l’ingérence étrangère ne se trouve au coeur de l’actualité, le département de la Justice avait surtout à se soucier du processus électoral en raison de sa division des droits civiques, qui vise notamment à faire respecter le droit de vote.
Or, tandis que les États tâchent de s’adapter à la pandémie de COVID-19, le discours qui émane du département de la Justice porte moins sur l’accès aux urnes que sur le risque de fraude dans le vote par correspondance, qui devrait être plus répandu cette année.
M. Barr a récemment déclaré que les États qui se tournent massivement vers ce système «jouent avec le feu».
Le vote par correspondance pose un plus grand risque que le vote en personne, reconnaissent les experts, mais rien n’indique qu’une fraude généralisée le guette.
«L’idée que le procureur général inventerait une fraude généralisée dans un système que beaucoup d’Américains — peut-être même la plupart des Américains — utiliseront en novembre est profondément préoccupante», soulève M. Levitt.
«L’idée qu’il pourrait mettre en doute la validité des résultats de l’élection avant même que l’élection ait eu lieu est profondément préoccupante.»