Une famille roumaine qui avait espéré construire sa vie près de Toronto avec ses deux enfants nés au Canada a vu ses rêves se terminer tragiquement dans les eaux glaciales du fleuve Saint-Laurent au large d’Akwesasne, après avoir fui une ordonnance d’expulsion.
Florin Iordache, sa femme Cristina (Monalisa) Zenaida Iordache, leur fille de deux ans Evelin et leur fils d’un an Elyen faisaient partie des huit personnes retrouvées mortes dans le fleuve près du territoire mohawk d’Akwesasne la semaine dernière.
Peter Ivanyi, un avocat torontois qui représentait la famille Iordache depuis 2018, a rapporté mardi en entrevue que le couple souhaitait désespérément rester au pays pour le bien de leurs deux enfants, qui étaient citoyens canadiens.
Selon la police, la famille, ainsi que quatre membres d’une famille indienne, tentait de traverser illégalement vers les États-Unis par Akwesasne, dont le territoire chevauche les frontières provinciales et internationales du Québec, de l’Ontario et de l’État de New York. Casey Oakes, un homme d’Akwesasne de 30 ans dont le bateau renversé a été retrouvé près des victimes, est toujours porté disparu.
Me Ivanyi a indiqué que sa dernière communication avec Florin Iordache remonte au début de la semaine dernière pour l’informer que toutes les voies légales de séjour de la famille au Canada étaient épuisées et qu’ils risquaient d’être expulsés du pays le 29 mars. Il pense que la nouvelle a incité les Iordache à tenter le risque d’un voyage fluvial vers les États-Unis.
Lors d’un entretien téléphonique, Me Ivanyi a affirmé qu’il ne croyait pas que M. Iordache souhaitait vraiment s’installer aux États-Unis, malgré sa famille en Floride, car ses enfants étaient citoyens canadiens. Mais il était déterminé à ce qu’ils ne retournent pas en Roumanie et ne subissent pas la discrimination que lui et sa femme avaient subie en tant que Roms.
«Je pense que c’était par désespoir et à court d’autres options et d’espoir, pour autant qu’ils l’aient vu», a déclaré Me Ivanyi.
Victimes de discrimination dans leur pays
Il a indiqué que le couple faisait partie d’un flot de Roumains arrivés dans le pays en décembre 2017 après que le Canada a renoncé à la plupart des exigences de visa. Florin Iordache et son épouse, qui est répertoriée sous le nom de Monalisa Budi sur les demandes d’immigration, ont demandé l’asile l’année suivante au motif qu’ils étaient victimes de discrimination dans leur pays.
Les Roms sont «exclus, ostracisés, aliénés» dans la plupart des aspects de la vie roumaine, des soins médicaux au logement et aux services sociaux, selon Me Ivanyi. Souvent, ils ne terminent pas leurs études en raison des abus et de la discrimination auxquels ils sont confrontés, ce qui entraîne des taux de chômage élevés, a-t-il ajouté.
Bien que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) ait jugé l’histoire du couple crédible, selon Me Ivanyi, elle a rejeté leur demande parce qu’elle ne croyait pas que la situation était si grave que le couple serait privé des droits humains fondamentaux en Roumanie. Il a dit qu’il n’était pas autorisé à fournir une copie de la décision.
Me Ivanyi a rapporté qu’il avait été choqué d’apprendre que Florin Iordache n’avait que 28 ans lorsqu’il est décédé, car il avait toujours semblé beaucoup plus âgé. «Il était clair qu’il ressentait le fardeau de devoir garder ses enfants au Canada, a-t-il déclaré. Pour leur donner, non seulement une vie meilleure, mais pour les empêcher d’avoir à vivre toutes ces choses terribles que lui et sa femme ont vécues en grandissant.»
Selon Me Ivanyi, M. Iordache s’est installé près de Toronto et a gagné sa vie en partie en achetant des voitures bon marché et en les revendant. Des amis ont dit qu’il travaillait également dans le nettoyage et la construction.
Alors que l’avocat a dit que la famille n’avait pas beaucoup d’argent, des photos les montrent en train de s’installer dans la vie canadienne, y compris lors de voyages à Niagara Falls et de célébrations de Noël. Ils ont fréquenté l’église orthodoxe roumaine All Saints, à Scarborough, où leurs enfants ont été baptisés.
Demande d’asile rejetée
Après le rejet de leur demande d’asile, le couple avait demandé à la fin de l’année dernière une évaluation des risques avant expulsion afin de montrer qu’ils couraient un danger s’ils étaient expulsés. Lorsque cela a été refusé le mois dernier, ils ont fait appel et demandé un report de l’expulsion, pour des motifs qui comprenaient les conditions médicales de leurs deux jeunes enfants.
Me Ivanyi a décrit l’état de M. Iordache lors de sa dernière conversation avec son client, lorsqu’il l’a informé que ces options avaient échoué, comme «découragé, terrible».
Les Iordache sont morts aux côtés d’une famille de l’État indien occidental du Gujarat — Praveenbhai Chaudhari, 50 ans ; Dakshaben Chaudhari, 45 ans ; leur fils de 20 ans Meet ; et leur fille de 23 ans, Vidhi.
Achal Tyagi, surintendant de la police de la ville de Mehsana au Gujarat, a déclaré à La Presse Canadienne que les Chaudhari étaient régulièrement en contact avec leur famille à la maison, mais les messages se sont arrêtés environ une semaine avant leur mort. Les membres de la famille ont été bouleversés d’apprendre l’accident mortel par le biais de reportages et de médias sociaux, a-t-il ajouté.
Selon M. Tyagi, l’enquête suggère que les Chaudhari étaient au Canada avec un visa touristique. Il a ajouté que les autorités indiennes travailleront avec leurs homologues canadiens pour obtenir plus d’informations sur le voyage de la famille et pour savoir si la famille a utilisé des agents pour se rendre au Canada ou pour tenter la traversée vers les États-Unis.
«Ils reçoivent de fausses assurances de la part de quelqu’un qu’il s’agit d’un itinéraire sûr, a-t-il déclaré. S’ils se rendaient compte que c’est très dangereux, je ne pense pas que les gens voudraient faire ça.»
Mise en garde sur le trafic d’êtres humains
Les décès sont survenus à un moment où la police d’Akwesasne a mis en garde contre une augmentation du trafic d’êtres humains sur le territoire, dont la géographie à cheval sur la frontière en a longtemps fait un point chaud pour les passages illicites.
Le chef de la police mohawk, Shawn Dulude, a dit aux journalistes vendredi que ses forces de police avaient effectué 48 interceptions impliquant 80 personnes essayant d’entrer illégalement aux États-Unis depuis janvier, et que la plupart étaient des personnes d’origine indienne ou roumaine.
Me Ivanyi, qui représente les immigrés roumains depuis 1997, a affirmé qu’il avait entendu parler indirectement d’autres personnes qui avaient traversé des lacs ou des rivières gelés vers les États-Unis, mais qu’il n’avait jamais entendu parler de quiconque prenant un bateau.
«Je pense que c’est probablement la façon la plus risquée de le faire, a-t-il dit. Et qui ferait ça? Je spécule ici, mais (ce serait) le plus désespéré.»
– Avec des informations de Hina Alam