L’augmentation du nombre de mammifères infectés par la grippe aviaire a mis en alerte les experts canadiens de la faune sauvage et de la santé publique, alors que des recherches récentes menées par des scientifiques fédéraux mettent en garde contre une «pandémie potentiellement dévastatrice» si le virus qui sévit dans les élevages de volailles finit par muter pour se propager efficacement chez les humains.
Les cas de grippe aviaire sont très rares chez les humains — moins d’une douzaine de cas de H5N1 ont été confirmés dans le monde depuis 2020 — et il n’y a pas eu de cas de transmission d’humain à humain. Mais les experts affirment que les agences de santé publique ont raison de surveiller de près l’évolution de la grippe aviaire hautement pathogène H5N1.
«Il y a suffisamment de signaux d’alarme pour que nous soyons obligés de nous préparer», a déclaré la docteure Samira Mubareka, spécialiste des maladies infectieuses et clinicienne scientifique à l’Institut de recherche Sunnybrook et à l’Université de Toronto.
Le virus H5N1 a été identifié pour la première fois en 1996, mais un nouveau type de virus est apparu en 2020. Détecté pour la première fois en Amérique du Nord à la fin de 2021, il a depuis décimé des troupeaux d’oiseaux sauvages et domestiques, entraînant la mort de millions de volailles au Canada, soit à cause de l’infection, soit à cause d’un abattage systématique pour empêcher sa propagation.
Bien qu’il faille s’attendre à des cas chez les mammifères lors d’une épidémie de grippe aviaire, Mme Mubareka explique que ce qui a retenu l’attention des scientifiques, c’est en partie l’éventail des espèces infectées.
«Si le virus s’étend à de nouvelles espèces, il a toujours la possibilité de muter et de s’adapter encore davantage, explique-t-elle. Il s’agit donc d’un niveau d’activité virale sans précédent pour le H5N1.»
On a signalé la semaine dernière le premier cas au Canada chez un chien, qui avait mâché une oie sauvage. Ce cas s’ajoute aux centaines d’autres confirmés chez des mouffettes sauvages, des renards, des visons et d’autres mammifères depuis le début de l’année dernière.
Plus tôt ce mois-ci, trois foyers infectieux ont été confirmés dans des élevages de volailles à l’est de Montréal et un quatrième dans une ferme à l’ouest de London, en Ontario. Les agriculteurs se préparent aussi à une éventuelle vague de cas lors du retour des oiseaux migrateurs au printemps.
Au Québec, la grippe aviaire s’est répandue depuis avril 2022 chez les oiseaux sauvages dans l’ensemble des régions, indique le ministère de l’Agriculture, de l’Environnement et des Ressources naturelles.
Les agences de santé publique du Canada, des États-Unis et de l’Europe s’accordent à dire que le risque pour la santé humaine demeure faible, les cas se limitant presque toujours à un contact direct avec des oiseaux infectés ou des environnements contaminés, comme les poulaillers. La consommation de produits de volaille bien cuits ne présente aucun risque.
Les scientifiques étudient toutefois le virus de près. Dans un article publié le mois dernier, des scientifiques de l’Agence canadienne d’inspection des aliments travaillant dans un laboratoire à Winnipeg, où les cas canadiens de H5N1 sont éventuellement confirmés et séquencés génétiquement, ont examiné les cas de 40 mammifères sauvages différents. Les chercheurs ont constaté que le virus avait subi des «mutations critiques», bien que l’agence ait déclaré que les risques de propagation à l’humain restaient minimes.
«La propagation de ces virus des oiseaux sauvages aux mammifères pourrait provoquer une pandémie potentiellement dévastatrice si les virus H5N1 mutent en des formes capables de se propager efficacement parmi les espèces de mammifères», peut-on lire dans l’article publié dans la revue à comité de lecture «Emerging Microbes & Infections».
Les mutations critiques découvertes par les chercheurs concernent une partie du virus qui l’aide à faire des copies de lui-même, ce qui vient s’ajouter à des résultats similaires rapportés dans le monde entier. Dans 17 % des cas, les scientifiques ont trouvé des changements qui donnaient au virus de meilleurs avantages pour se répliquer chez l’humain.
Mais, signe encourageant, les chercheurs ont écrit que le virus n’avait pas développé une forte préférence pour s’accrocher aux récepteurs du nez, de la bouche et de la gorge d’un être humain — la cible d’un virus de la grippe et la clé de l’infection chez l’humain.
L’Agence de santé publique du Canada a déclaré qu’elle prenait la situation «très au sérieux» et qu’elle disposait de plusieurs réseaux de surveillance pour contrôler et suivre les virus de la grippe. Grâce aux enseignements tirés de la pandémie de COVID-19, l’agence a été en mesure d’élaborer des plans spécifiques au H5N1 dans l’ensemble des services gouvernementaux.