QUÉBEC — Plus d’un résident sur cinq a perdu la vie dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée privé de Dorval, mis sous tutelle par la santé publique après avoir été déserté par la plupart de ses employés.
Lors de sa mise à jour quotidienne, samedi, le premier ministre François Legault a dit avoir seulement été informé la veille de l’ampleur des atrocités mises en lumière au CHSLD Herron, où des résidents ont été retrouvés dans un état dégradant à la fin du mois dernier.
Depuis le 13 mars, pas moins de 31 décès ont été enregistrés sur un total de 150 résidents. Au moins cinq de ces morts sont attribuables à la COVID-19, mais ce portrait sera porté à évoluer puisque les autorités sanitaires n’ont que récemment obtenu l’accès aux dossiers des patients, faute de coopération de la part de la propriétaire du centre.
Une enquête a été déclenchée par le ministère de la Santé et les policiers ont également été saisis de l’affaire à la demande de la sécurité publique, a indiqué M. Legault.
D’autres résidences détenues par la même propriétaire seront visitées, a-t-il assuré, tout comme l’ensemble des CHSLD privés non conventionnés. Le personnel hospitalier doit y être mis à contribution.
Des vérifications seront faites «aujourd’hui même», a précisé la ministre de la Santé, Danielle McCann, qui attend un rapport «à très, très court terme».
Un autre établissement privé complètement dépassé par la situation, le Manoir Liverpool à Lévis, a également vu le réseau de la santé prendre le contrôle de son fonctionnement.
À qui la faute?
«C’est difficile d’être inquiet d’un CHSLD qui nous cache une situation. Nous, on pensait qu’il y avait quelques décès, quelques cas confirmés», s’est défendu M. Legault.
Le premier ministre présente cette affaire comme un cas de «grosse négligence», dont la responsabilité repose sur les épaules de la propriétaire.
La ministre McCann a précisé que les CHSLD en difficulté sont portés à son attention en fonction du nombre d’infections rapportées parmi leurs résidents.
Questionnée sur un rapport de la protectrice du citoyen qui signalait dès 2017 des lacunes dans ce centre d’hébergement, Mme McCann a avancé que les correctifs avaient selon elle été apportés à l’époque, mais que la situation se serait dégradée depuis le début de la crise.
Le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal reconnaît pour sa part qu’il apportait déjà son soutien au CHSLD Herron, source de préoccupations avant même la pandémie.
En conférence de presse en fin d’après-midi, sa présidente-directrice générale, Lynne McVey, a expliqué que le manque de personnel a d’abord été constaté le 29 mars par une équipe du CIUSSS en visite.
«Une attention particulière à l’hygiène de chaque résident» s’est imposée, dit-elle, niant toutefois que des résidents ont été trouvés morts dans leur lit, comme précédemment rapporté. «On a lavé, nourri, changé des résidents.»
L’accès difficile aux dossiers médicaux a toutefois compliqué la tâche du CIUSSS, explique Mme McVey, et il aura fallu attendre le 8 avril pour en faire l’analyse, grâce à une ordonnance de la Direction de la santé publique.
«Oa fait du mieux qu’on pouvait dans les circonstances», a maintenu la dirigeante du CIUSSS.
«Je vous assure aujourd’hui qu’après l’évaluation de tous les patients, ils sont bien soignés et leurs prescriptions sont remplies.»
Les établissements publics, aussi remis en cause
Un examen serré des CHSLD publics est également de mise, selon le Conseil pour la protection des malades.
Son président Paul Brunet soupçonne que la COVID-19 y est beaucoup plus répandue que ne le laissent croire les chiffres officiels.
Le Conseil pour la protection des malades a demandé au Bureau du coroner de se pencher sur toutes les morts rapportées en CHSLD depuis le 1er mars.
«On a l’expérience des canicules, où souvent la cause »naturelle » du décès justifiait et simplifiait les rapports des autorités dans ces établissements-là», a-t-il fait valoir, lors d’une entrevue téléphonique avec La Presse canadienne.
Un système à revoir
Le premier ministre, qui devait s’accorder un répit, samedi, a dit avoir renoncé à son congé pour faire le point sur la situation dans les établissements pour personnes âgées, de loin les plus vulnérables au virus.
«Je veux dire aux Québécois que je ne trouve pas acceptable la façon dont on traite nos aînés. Ça fait longtemps qu’on sait qu’il manque du personnel dans les CHSLD, que le personnel n’est pas assez bien payé, en particulier au privé», a-t-il souligné.
«Quand la crise va être sous contrôle, je veux qu’on revoit toutes façons de faire, a-t-il lancé. Est-ce que le gouvernement doit aller se mêler de ce qui se fait dans les résidences privées? Je pense de plus en plus que oui.»
M. Legault propose d’établir des normes, notamment un seuil minimal d’effectifs, et de miser sur des centres à plus petite échelle.
Par ailleurs, plusieurs mesures adoptées dans le cadre de la crise sanitaire seraient là pour rester, dont la prime pour les préposés, a-t-il déclaré.
Directives fédérales
Samedi, l’Agence de la santé publique du Canada a discrètement publié une série de lignes directrices et de recommandations pour les établissements de soins de longue durée pendant la pandémie.
Elle suggère notamment d’identifier les membres du personnel travaillent dans plus d’un établissement de santé et d’éviter cette situation dans la mesure du possible afin de limiter la propagation.
Il est également recommandé que tous les travailleurs portent un masque N95 dûment ajusté, des gants, une blouse et une protection du visage ou des yeux portés au cours de toutes les interventions générant des aérosols.
L’administratrice en chef, la Dre Theresa Tam, dit que ces recommandations ont reçu l’aval de tous les directeurs nationaux de la santé publique au pays.
— avec la collaboration de Catherine Lévesque.