WASHINGTON — Quelques semaines à peine avant l’entrée en vigueur du «nouvel ALÉNA», les autorités de réglementation américaines ont ouvert une enquête officielle sur l’intention du Canada de modifier les règles de navigation sur les Grands Lacs, des eaux partagées par les deux pays.
Les transporteurs américains affirment que les nouvelles normes canadiennes proposées pour l’utilisation et le rejet des eaux de ballast sont injustes, trop coûteuses et conçues pour les dissuader de faire du transport transfrontalier à travers le plus important système d’eau douce de surface du monde.
Transports Canada a présenté les nouvelles règles l’été dernier pour répondre aux exigences d’un traité de l’Organisation maritime internationale (OMI), entré en vigueur en 2017, qui vise à limiter la propagation d’espèces nuisibles ou envahissantes — un traité auquel les États-Unis n’ont toutefois pas adhéré.
Dans une requête déposée en mars dernier auprès de la Commission fédérale maritime des États-Unis, l’Association des transporteurs maritimes des Grands Lacs accuse le Canada de rechercher un avantage concurrentiel. L’association représente 13 entreprises, avec 46 navires battant pavillon américain, capables de transporter 81 millions de tonnes de marchandises par an.
L’association fait valoir que le règlement proposé n’est pas prévu par le traité de l’OMI, que la conformité à la norme de performance canadienne serait prohibitive pour ses membres, et que le règlement proposé vise à dissuader les transporteurs américains du commerce transfrontalier.
Les mesures proposées par Transports Canada pour limiter le rejet d’espèces envahissantes exigeraient de nouveaux systèmes de traitement des eaux sur tous les bateaux qui naviguent en eaux canadiennes. Les mesures proposées fixeraient aussi de nouvelles normes de rendement, plus rigoureuses.
L’association estime que l’industrie américaine devrait débourser plus de 1,1 milliard $ CAN pour se conformer aux nouvelles exigences canadiennes pendant la durée de vie de 25 ans du règlement. Selon eux, cela doublerait leurs tarifs de fret, ce qui les empêcherait de rivaliser avec leurs concurrents canadiens.
«Les transporteurs américains sur les Grands Lacs ne seraient pas en mesure de supporter le coût accru de ces réglementations et de rester compétitifs — ils devraient donc quitter ce commerce», écrit l’association dans sa requête à la commission fédérale. «Les exploitants canadiens bénéficieraient alors directement de la sortie des Américains de ce commerce en reprenant cette part de marché et en jouissant d’un monopole de fait sur le commerce maritime transfrontalier des États-Unis vers le Canada.»
Au cabinet du ministre canadien des Transports, Marc Garneau, l’attachée de presse Livia Belcea a indiqué que les mêmes règles s’appliqueraient aux navires canadiens, et que des exemptions consenties aux navires américains seraient inéquitables d’un point de vue concurrentiel. Elle rappelle par ailleurs qu’il s’agit pour l’instant d’une simple proposition.
Des amendes aux navires canadiens?
Le projet de règlement canadien prévoit une exception pour les navires des Grands Lacs américains, à condition qu’ils ne «chargent ou ne libèrent» pas de ballast en eaux canadiennes. Mais les navires battant pavillon américain qui transportent des marchandises vers le Canada n’auraient pas d’autre choix que de charger du ballast canadien avant leur retour aux États-Unis.
«Le chargement d’eau de ballast en eaux canadiennes, contrairement à son rejet, n’entraîne pas l’introduction potentielle d’organismes non indigènes dans les eaux canadiennes», fait valoir l’association.
«En imposant cette exigence environnementale inutile aux transporteurs américains, Transports Canada ne réglemente pas de manière équitable entre les transporteurs américains et canadiens. Il désavantage plutôt les transporteurs américains, sans but légitime, créant ainsi dans le commerce extérieur une condition défavorable aux expéditions américaines.»
La Commission fédérale maritime des États-Unis a le pouvoir d’examiner l’équité des règles canadiennes, en vertu de la loi américaine de 1920 sur la marine marchande.
Si la commission tranche en faveur des transporteurs américains, les navires canadiens faisant escale dans les ports américains pourraient se voir imposer des amendes, voire une interdiction d’accoster. Le transport de marchandises entre les deux pays s’en verrait affecté.