TORONTO — Les progressistes-conservateurs de Doug Ford en Ontario n’atteindront pas l’équilibre budgétaire pendant le mandat actuel, mais leur premier budget ouvre une ère de resserrement progressif, apaisée d’un peu d’alcool.
Le budget, déposé jeudi, établit le déficit annuel à 11,7 milliards $, et les conservateurs ne prévoient pas l’éliminer avant 2023-2024. Or, les prochaines élections provinciales sont prévues en 2022.
Les réductions draconiennes et généralisées que plusieurs craignaient ne se concrétisent pas dans ce premier budget, mais l’échéancier vers l’équilibre montre que le couperet s’abattra surtout à partir de la mi-mandat.
Le budget limite la croissance des dépenses — et il annonce des coupes dans les études postsecondaires et les services sociaux. Mais les dépenses de programmes dépassent quand même de près de 5 milliards $ celles prévues dans le plus récent budget présenté par le précédent gouvernement libéral, que les conservateurs ont souvent critiqué pour leur côté dépensier.
Le ministre des Finances, Vic Fedeli, a soutenu jeudi que son gouvernement avait «établi une voie raisonnable vers l’équilibre», une «approche réfléchie et mesurée», sur cinq ans. «Notre principe est de protéger ce qui compte le plus», a-t-il dit.
Au cours des trois prochaines années, le budget global alloué aux dépenses de programmes augmentera en moyenne de 0,8 pour cent, contre une croissance de 3,3 pour cent prévue l’an dernier par les libéraux.
Le gouvernement Ford introduit également un crédit d’impôt pour la garde d’enfants, qui pourra atteindre 6000 $ par enfant de moins de 7 ans et jusqu’à 3750 $ par enfant de 7 à 16 ans, selon une grille modulée, pour les familles gagnant moins de 150 000 $ par année. Cette mesure devrait coûter environ 390 millions $ au trésor public annuellement. Le gouvernement Ford promet également de créer 30 000 places en garderie sur cinq ans.
Des soins dentaires gratuits seront également offerts aux personnes âgées à faible revenu.
L’alcool et les plaques
Le gouvernement assouplit par ailleurs plusieurs règles provinciales relatives à l’alcool: les municipalités pourront permettre la consommation d’alcool dans les parcs, les débits de boisson pourront commencer à servir de l’alcool à 9 h le matin, la publicité pour les «heures festives» sera autorisée, tout comme les fêtes d’avant-match. Le gouvernement a également l’intention de permettre aux dépanneurs de vendre de la bière et du vin.
Ce qui a fait dire aux partis de l’opposition que le gouvernement Ford était «obsédé» par l’alcool.
Les conservateurs ont aussi annoncé dans leur budget un nouveau logo pour la province — pratiquement identique au précédent, avec la trille — ainsi qu’une nouvelle plaque d’immatriculation, qui laisse plus de place au bleu, avec un nouveau slogan, «A Place to Grow», qui remplacera «Yours To Discover». Le gouvernement soutient qu’il a conclu un nouveau contrat de production de plaques qui fera économiser 4 millions $ à la province.
La chef du Nouveau Parti démocratique, Andrea Horwath, a estimé qu’en coloriant les nouvelles plaques de plus de bleu, couleur traditionnellement associée aux conservateurs, le gouvernement Ford «utilise les fonds publics à des fins partisanes».
«Il est honteux que ce soit une priorité (du premier ministre) Doug Ford d’avoir son ego à l’arrière de toutes les voitures. Je pense que ça va causer beaucoup de collisions», a-t-elle plaisanté.
Hausses modestes en santé
Plus sérieusement, Mme Horwath a souligné que même là où les dépenses augmentent, ces hausses sont généralement inférieures à l’inflation, ce qui équivaut en fait à des réductions.
Les hôpitaux recevront 384 millions $ supplémentaires, ce qui représente une augmentation de 2,05 pour cent, mais l’Association des hôpitaux de l’Ontario avait déclaré que ce secteur aurait besoin d’une augmentation de 3,45 pour cent pour maintenir ses effectifs.
Les dépenses globales en santé devraient augmenter sur une période de trois ans d’une moyenne annuelle modeste de 1,6 pour cent. L’Ontario souhaite par ailleurs regrouper plus de 20 organismes de santé, une mesure qui ferait économiser 350 millions $ par année d’ici 2021-2022. Des mesures de «productivité de la main-d’œuvre», comme la réduction des heures supplémentaires, devraient permettre d’économiser 250 millions $ par an, selon le gouvernement.
L’éducation et les services sociaux
Les dépenses en éducation devraient augmenter de 1,2 pour cent, mais cette croissance est due en grande partie à l’augmentation du nombre d’inscriptions, pas à de nouveaux programmes. L’Ontario a récemment annoncé une série de changements dans le secteur de l’éducation, notamment une augmentation du nombre d’élèves par classe au secondaire, ce qui a déclenché une importante grogne.
Le secteur de l’enseignement postsecondaire connaîtra des réductions de son financement, les dépenses chutant de 1,0 pour cent en moyenne au cours des trois prochaines années, principalement en raison de modifications apportées à l’aide financière aux étudiants.
Les universités et les collèges seront par ailleurs assujettis à des conditions accrues pour obtenir leur financement: jusqu’à 60 pour cent des sommes seront liées au rendement des établissements au cours des cinq prochaines années. Le gouvernement n’a pas spécifié pour l’instant les critères qui seront utilisés pour évaluer les performances — ils feront l’objet de discussions avec les établissements.
Des changements tels que les réformes de l’aide sociale, la fermeture d’espaces et d’installations dans le système judiciaire pour les jeunes et une «rationalisation» de l’appareil devraient par ailleurs contribuer à réduire les coûts du secteur de l’enfance et des services sociaux de 1 milliard $ — ou 2,0 pour cent — sur trois ans, estime le gouvernement.
Le secteur de la justice devrait également connaître une réduction de coûts d’environ 2 pour cent, notamment en modifiant les services d’aide juridique et d’indemnisation des victimes, et en fusionnant des tribunaux d’arbitrage.
L’Ontario a également commencé à chercher des façons de limiter la croissance des salaires dans le secteur public.
Pas de baisses d’impôts
Pour les entreprises, des amortissements plus rapides sur les investissements en immobilisations devraient procurer un allégement fiscal de 3,8 milliards $ sur six ans, croit le gouvernement. Cet allégement remplace la baisse d’un point du taux d’imposition des sociétés, de 11,5 à 10,5 pour cent, comme le promettaient les conservateurs en campagne électorale. Le gouvernement Ford soutient que cet allégement profitera davantage aux entreprises.
Le budget ne contient d’ailleurs pas de nouvelles taxes. En plus de lutter contre le déficit, le gouvernement s’attaque également à la dette nette — actuellement fixée à 343 milliards $ — en veillant à ce que les excédents et les fonds de réserve ou de prévoyance inutilisés soient versés au service de la dette.
En outre, un projet de loi obligerait le gouvernement à élaborer une stratégie de réduction du fardeau de la dette. Il obligerait même le premier ministre et le ministre des Finances à verser 10 pour cent de leur salaire pour chaque échéance ratée dans la production de documents importants comme le budget provincial ou les comptes économiques trimestriels.