Les demandeurs d’asile veulent ravoir l’accès aux garderies subventionnées

MONTRÉAL — «C’est comme si on te mettait dans une boîte, qu’on t’enfermait dans une cage et qu’on te disait: tu restes là, tu ne bouges pas.»

Hié Grattier-Paule est arrivée enceinte au Québec de la Côte d’Ivoire il y a 20 mois. Elle a un permis de travail, mais en tant que demandeur d’asile, elle n’a pas droit à une place dans une garderie subventionnée et n’a pas les moyens de se payer un service de garde privé non subventionné.

«Je ne peux pas comprendre que j’ai un permis de travail et que je ne peux pas travailler. Je suis réduite à ne recevoir que l’aide sociale. Pour moi, ça veut dire que je ne peux pas m’intégrer, je ne peux pas construire une vie, je ne peux rien faire (…) Pourquoi vous me donnez le permis de travail si je ne peux pas travailler? Vous m’empêchez de vivre, vous m’empêchez de m’intégrer», s’est-elle insurgée lors d’une conférence de presse, mercredi, annonçant une démarche judiciaire pour renverser cet état de fait.

Un recours en contrôle judiciaire sera en effet déposé en Cour supérieure cette semaine pour permettre aux demandeurs de ravoir accès aux services de garde subventionnés, accès qui leur a été retiré par le gouvernement libéral en avril 2018, ce qui place les femmes en attente de statut dans une situation de discrimination intenable face à l’accès au marché du travail.

«J’aimerais travailler comme les autres mamans»

Les demandeurs d’asile avaient droit jusqu’à il y a un an aux services de garde subventionnés, mais une directive du ministre de la Famille de l’époque, Luc Fortin, avait modifié l’interprétation du règlement, privant ceux-ci de cet accès.

Les mères d’enfants d’âge préscolaire qui sont en demande d’asile se voient ainsi forcées de demeurer à la maison et ce, même si elles ont un permis de travail, une situation qui touche tant les mères monoparentales que les femmes en couple qui, dans la majorité des cas, seront celles qui devront rester à la maison pour s’occuper des enfants.

Clarisse Amani, une congolaise aussi réfugiée en attente de statut, a sept enfants. Si quatre d’entre eux ont droit à l’école publique, les trois plus jeunes, âgés de sept mois, deux ans et quatre ans, eux, n’ont plus droit aux services de garde publics depuis un an.

«Ce n’est pas facile même d’aller à des rendez-vous parce que je dois emmener les trois enfants», raconte-t-elle. «J’ai mon permis de travail, mais comment est-ce que je vais l’utiliser avec la charge de mes enfants?»

«J’aimerais aussi travailler comme les autres mamans. J’ai mon diplôme de graduée, mais je ne l’utilise pas. Je ne fais que garder les enfants à la maison. Je suis ici, oui, je suis bien, je suis reconnaissante, le pays nous aide, mais en tant que maman de sept enfants, ce n’est pas vraiment suffisant», dit-elle d’un ton calme en racontant qu’avec l’aide sociale, elle et ses enfants occupent un logement beaucoup trop petit.

La faute du fédéral? Faux

Un regroupement de 130 professionnels de la santé et de la petite enfance a fait des représentations en février auprès du nouveau ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, qui s’est dit ouvert à redonner cet accès, tout en invoquant un argument bien connu pour justifier son absence d’action rapide.

«Il nous a expliqué que, oui, il voulait bien réinterpréter la loi pour que les enfants de demandeurs d’asile puissent avoir accès aux garderies subventionnées, sauf qu’il attendait d’avoir une négociation avec le gouvernement fédéral. Il voulait avoir une entente et de l’argent du gouvernement fédéral pour l’aider à payer ces places de garderie subventionnées», raconte la pédiatre Gillian Morantz, qui est l’instigatrice du regroupement des professionnels qui cherchent à sensibiliser le ministre.

Se réfugier derrière les négociations avec le fédéral pour mettre le dossier des garderies subventionnées dans la salle d’attente représente toutefois un argument fallacieux, selon les avocats qui pilotent le recours judiciaire: les sommes auxquelles fait référence le ministre sont celles que Québec réclame depuis deux ans pour soutenir les dépenses imprévues provoquées par l’afflux de réfugiés en 2017 et 2018.

Or, Québec n’a pas attendu la conclusion de ces négociations pour offrir aux demandeurs l’accès aux soins de santé, à l’école publique et aux autres services publics et la décision de leur redonner accès aux services de garde subventionnés ne dépend que de lui, rappelle Me Sibel Ataogul: «C’est le Québec qui fait l’exclusion. Donner accès aux garderies c’est de juridiction provinciale (…) C’est vraiment le gouvernement québécois qui le décide et qui a changé l’interprétation il y a un an. On ne peut pas blâmer le fédéral pour ça.»

Aucune avenue

Jennifer Lys Grenier, coordonnatrice d’un regroupement d’organismes d’aide aux réfugiés, souligne que l’exclusion s’applique à tous les volets du système de garderies subventionnées. Ainsi, depuis avril 2018, «les demandeurs d’asile n’ont plus accès au remboursement anticipé pour frais de garde; s’ils réussissent à trouver une place en garderie privée non subventionnée, ils devront défrayer des milliers de dollars en frais de garde durant un an», avant d’avoir droit à un remboursement, contrairement à n’importe quel autre résidant qui peut bénéficier d’un remboursement anticipé.

Il n’est guère plus facile d’obtenir le crédit d’impôt pour frais de garde, dit-elle: «Il y a un minimum de frais de garde requis et il faut produire une déclaration de revenus et les frais de garde doivent avoir été encourus auprès d’une personne habilitée à délivrer un relevé 24», ce qui exclut le recours aux services d’une voisine ou d’une amie.

«C’est extrêmement discriminatoire et ç’a un effet discriminatoire particulièrement sur les femmes demanderesses d’asile», déplore-t-elle.

«En prendre moins, mais en prendre soin»?

La Coalition avenir Québec a fait grand cas en campagne électorale de son slogan «En prendre moins, mais en prendre soin» en matière d’immigration.

Cependant, le fait de confiner les mères réfugiées à la maison représente non seulement une entrave à l’intégration au marché du travail, mais à l’intégration dans la société en général puisque cette situation les empêche de suivre quelque cours de francisation que ce soit. Pourtant, parmi les demanderesses d’asile, 40 pour cent ne parlent ni français ni anglais à leur arrivée au Québec, souligne Mme Grenier.

«Elle se retrouvent exclues même des lieux sociaux où l’on peut s’intégrer.»

Autre effet pervers, l’incapacité de travailler représente un obstacle à la réunification des familles. Hié Grattier-Paule a laissé ses deux autres enfants en Côte d’Ivoire auprès de proches, l’objectif étant de venir au Québec et de travailler pour les rapatrier. Sauf qu’il faut un emploi pour parrainer les membres de sa famille. La discrimination qu’elle subit est encore plus difficile à justifier si l’on considère qu’elle s’exerce aussi contre son enfant qui, lui, est né ici et est citoyen canadien.

Un mauvais choix à tous égards

La docteure Morantz, qui a réalisé des études sur le sujet comme chercheure à l’Hôpital pour enfants du Centre universitaire de santé McGill, affirme que de priver les enfants de demandeurs d’asile de services de garde éducatifs «aura des effets délétères sur le développement de nombreux enfants». Elle fait valoir que la fréquentation de services de garde a un effet positif démontré sur l’intégration sociale non seulement des enfants, mais bien de toute la famille en plus de s’avérer un facteur de succès pour la fréquentation scolaire qui suivra.

Jennifer Lys Grenier s’explique donc mal la décision du gouvernement libéral précédent tout comme l’inaction du gouvernement caquiste actuel: «C’est un mauvais choix social, c’est un mauvais choix économique que de ne pas permettre aux personnes qui le désirent, qui ont les ressources humaines, la volonté de s’intégrer, de travailler, de ne pas pouvoir le faire parce que les coûts de services de garde en milieu privé sont complètement prohibitifs et inaccessibles pour des personnes dans des situations aussi précaires.»

Le recours en contrôle judiciaire, qui doit être déposé ce jeudi, vise à faire annuler la portion de la réglementation dont l’interprétation laisse place à cette privation d’accès. Il invoque notamment une discrimination fondée sur le sexe et sur le statut social qui va à l’encontre des chartes canadienne et québécoise.